Résidus de pesticides dans l’eau du robinet : faut-il s’en inquiéter ?

Tel est le titre de l’article du Progrès suite à mon interview pour l’ASEF concernant l’étude sur la qualité de l’eau récemment publiée par Générations Futures et UFC-Que Choisir. Le contenu de cet article m’étant apparu trop superficiel quant aux enjeux soulevés, je propose ici d’aller plus loin dans la réflexion sur les enjeux qui entourent la question de l’accès à une eau saine.

Si l’on ne s’étonne pas de la contamination de l’alimentation par les pesticides, leur présence dans l’eau du robinet interpelle sur l’étendue de leur infiltration dans notre environnement. C’est l’occasion de revenir sur les inquiétudes concernant les liens entre pesticides et santé et la complexité d’en fournir les preuves. Au-delà des nécessaires évolutions réglementaires que cela implique, les questions entourant les pesticides et l’accès à une eau saine méritent d’être largement élargies.

A l’échelle individuelle aucune étude ne peut affirmer qu’elle soit préférable ou non à une eau du robinet conforme, mais l’eau en bouteille plastique n’est pas sans risque pour la santé et l’environnement. Elle favorise l’ingestion de micro-plastiques (retrouvés récemment dans des placentas), peut exposer à des perturbateurs endocriniens (comme l’antimoine), mais aussi contenir des traces de pesticides. Surtout, le plastique envahit notre planète dans des proportions catastrophiques, pas seulement au sein du colossal « 7ème continent ». En outre la marchandisation d’une ressource naturelle vitale, à présent cotée en bourse, n’est pas sans poser de lourds questionnements éthiques.

L’accès à une eau du robinet saine est une priorité de santé publique ; c’est l’aliment le plus contrôlé. Basée sur les analyses officielles des Agences Régionales de Santé, l’étude de Générations Futures et UFC-Que choisir rappelle que les pesticides sont la première cause de non-conformité. Malgré la contamination massive des rivières et nappes phréatiques, l’eau potable est conforme à 98% grâce aux traitements de dépollution. Pourtant l’étude révèle que 28% des réseaux conformes contiennent au moins un pesticide suspecté d’être perturbateur endocrinien. Ce chiffre monte à 80% dans les départements recherchant un grand nombre de molécules ; tous ne basent pas leur indice de conformité sur la recherche du même nombre de pesticides (d’une dizaine à près de 500) faute de directive nationale.

Les perturbateurs endocriniens sont des substances capables d’interférer avec notre système hormonal. A ce jour, les conséquences pour la santé sont impossibles à résumer tant il existe de molécules et tant les niveaux de preuve varient selon les substances et les pathologies, de la suspicion au lien confirmé. Mais les inquiétudes du corps scientifique et médical sont grandissantes concernant cancers, diabète, obésité, troubles de la fertilité, malformations, troubles du neuro-développement.

Si les preuves scientifiques sont si difficiles à fournir c’est que les perturbateurs endocriniens ont des caractéristiques particulières à présent bien connus : pas d’effet-dose (un taux très faible est parfois plus dangereux qu’un taux élevé), effet cocktail (certaines molécules inoffensives individuellement le deviennent quand elles sont associées), périodes de vulnérabilité (grossesse, petite enfance), effet différé et transgénérationnel (les conséquences pour la santé peuvent survenir des années ou des générations après l’exposition).

Il est donc important de souligner les carences des critères réglementaires appliqués. Le nombre insuffisant de molécules recherchées et les seuils de conformité ne garantissent pas une eau saine. Les associations de molécules ne sont pas prises en compte. Surtout le niveau de preuve exigé pour faire interdire des produits est inadapté à leurs spécificités. En attendant, des dizaines de milliers de tonnes de pesticides sont déversées chaque année dans notre environnement, et leur éventuelle interdiction ne les verra pas disparaître immédiatement. C’est le cas dramatique du chlordécone aux Antilles, dont les effets neurotoxique, reprotoxique et cancérogène, ont conduit à l’interdiction en 1993, mais auquel la population antillaise continue d’être largement exposée pour encore des centaines d’années tant la molécule est persistante.

Ces enjeux de santé publique appellent à interdire les pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens. Mais cela devrait s’accompagner de modèles de transition anticipés pour les agriculteurs afin d’éviter des retours en arrière comme avec les néonicotinoïdes, de la révision des modalités d’autorisation de mise sur le marché de nouvelles molécules pour ne pas répéter indéfiniment « l’histoire », et de la lutte contre les nombreux autres perturbateurs endocriniens de notre quotidien.

Il conviendrait par ailleurs de ne plus reléguer au second plan les conséquences des pesticides sur la biodiversité (insectes, oiseaux, invertébrés, faune aquatique, flore…). D’une part l’observation d’effets sur la faune a très souvent précédé les connaissances des impacts sur la santé humaine. D’autre part l’extinction actuelle des espèces représente par elle-même des risques importants pour le bien-être et la santé tant la biodiversité nous rend de services : alimentation, régulation du climat, de la qualité de l’eau et de l’air, des agents pathogènes, connaissances médicales et pharmacologiques, amélioration de notre immunité, réduction du stress… Au-delà de ces considérations quelque peu « égocentriques », il est aussi question de la place à laisser aux autres vivants et du monde dans lequel nous voulons vivre.

Pour autant, les pesticides ne doivent pas cristalliser les inquiétudes. Moins mesurable, moins quotidien, moins immédiat, le réchauffement climatique est la plus grande menace qui pèse sur l’accès à une eau saine. Les périodes de sécheresse exposent à des pénuries, comme en Corrèze l’été 2019 où plusieurs communes ont dû être approvisionnées par camion-citerne pendant des semaines. S’y associent des risques de plus fortes concentrations en polluants et de développement de bactéries. Enfin, l’autre secteur à considérer est celui de l’élevage. Deuxième cause de pollution de l’eau du robinet (par les nitrates), il consomme bien plus d’eau que les cultures végétales. De plus le réchauffement climatique et l’élevage intensif (qui y participe pour environ 15% des émissions de gaz à effet de serre) sont associés à bien d’autres risques d’ampleur pour la santé publique… Nous questionnent-ils autant que les pesticides dans l’eau du robinet ?

Ne soyons pas tentés de nous arrêter à l’hésitation entre eau en bouteille et eau du robinet. L’eau est la ressource vitale la plus précieuse. Ces constats, et pas seulement, devraient nous amener à repenser notre agriculture et notre alimentation, mais surtout à faire de la lutte contre le réchauffement climatique notre priorité. Pourtant la règlementation sur les pesticides tarde à évoluer ou fait des retours en arrière, les menus sans viande déclenchent des débats passionnels sans fond, et à ce stade la loi climat paraît insuffisamment ambitieuse pour atteindre les objectifs des accords de Paris.
Finalement la complexité des liens entre pesticides et santé n’est rien à côté de celle à faire évoluer nos sociétés.

Dr Alicia Pillot, médecin généraliste, co-fondatrice du collectif PEPS’L (Prévention Environnement Professionnels de Santé de la région Lyonnaise) et membre de l’ASEF.

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