12 février 2021

Registre R-Nano : rapport de l’ANSES novembre 2020 - Dr Alain Ragon

Objectifs du rapport de l’ANSES

 

Dans son rapport de novembre 2020, l’ANSES [1] formule un avis sur la qualité, l’exploitation et le partage des informations déclarées dans le registre R-Nano mis en place depuis 2013. La France a en effet été le premier pays européen à instituer auprès des fabricants, importateurs et distributeurs un registre de recueil obligatoire d’informations sur les nanomatériaux. D’autres pays européens comme le Danemark (2015), la Belgique (2016), la Norvège et la Suède (2018) ont instauré le même type de registre établi dès 2005 par les USA. En janvier 2020 un observatoire européen des nanomatériaux (EUON) [2] dans le cadre de la réglementation REACH [3] est chargé de recueillir des informations sur les matériaux susceptibles de contenir des nanoparticules.

Particularités des nanoparticules

 

Pourquoi mettre en place un inventaire spécifique des matériaux sous forme de nanoparticules, c’est-à-dire des particules dont le diamètre est inférieur à 100 µm ? Ces matériaux sont-ils plus dangereux pour la santé et l’environnement et leur comportement est-il différent sous cette forme par rapport à une taille « normale » ? Il est difficile de répondre à cette question car les propriétés d’une substance chimique sous forme de nanoparticules sont modifiées et peuvent être bénéfiques ou délétères. Chaque nanomatériau possède un profil toxicologique qui lui est propre et trop peu d’informations sont connues sur leurs effets sur la santé.  

La réduction de la taille d’un matériau sous forme de nanoparticules a pour effet d’augmenter considérablement sa surface qui à cette échelle devient prépondérante par rapport au volume de la particule. En conséquence les atomes en nombre réduit dans ces particules vont être beaucoup plus réactifs et avoir des effets de surface qui vont entraîner des propriétés différentes (électriques, mécaniques, magnétiques et optiques) et cette réactivité peut avoir des effets néfastes. De plus leur petite taille leur permet de franchir les barrières physiologiques.

Nous y sommes exposés par voie alimentaire, respiratoire ou cutanée.

Définition des nanoparticules

 

Les nanomatériaux sont définis comme toute substance fabriquée intentionnellement à l’échelle nanométrique, contenant dans une proportion minimale de 50 % des particules dont les dimensions sont comprises entre 1 et 100 µm.

Objectifs du registre R-Nano

 

Les objectifs du registre R-Nano sont d’obtenir un inventaire des nanomatériaux et de leurs usages en France pour :                                                                                                                                                         

  • Une meilleure connaissance des substances à l’état de nanoparticules (identité physico-chimique, charge de surface ou potentiel zéta, impuretés, état cristalin ou amorphe …).

La définition de ces nanomatériaux est parfois difficile car par exemple le registre R-Nano recense plus de 300 nanomatériaux alors que l’observatoire européen EUON2 n’en comptabilise que 39.

  • Une connaissance des usages très divers : alimentation, cosmétiques, pharmacie, habillement, agriculture (produits phytosanitaires comme des pesticides), bâtiment, automobile, emballage …
  • La traçabilité : identifier et géolocaliser les organismes qui manipulent des nanomatériaux (depuis le fabricant, l’importateur, le distributeur et si possible jusqu’à l’utilisateur) pour évaluer les risques sanitaires pour les travailleurs et pour l’environnement
  • Une identification des quantités produites et importées (400 000 tonnes/an) avec une répartition des secteurs d’utilisation. Les critères de déclaration entre le registre R-Nano et l’observatoire européen EUON sont ici aussi différents car une déclaration est obligatoire au delà d’un poids de 100 g de nanomatériaux pour le premier et 1 tonne pour le second (comprend l’ensemble du matériau sous forme nano et non nano).
  • Une information transparente et accessible afin d’évaluer les risques pour la santé et l’environnement. Les informations sur les nanomatériaux sont notamment destinés aux organismes de recherche comme l’INERIS [4], l’INRS [5], l‘ANSM [6], le SPF [7] pour des études épidémiologiques.

Nature des nanomatériaux

 

Ils sont très nombreux (carbonate de calcium, silicate de magnésium, oxyde d’aluminium, oxyde de fer, oxyde de zinc …) mais quatre nanomatériaux sont particulièrement mentionnés dans le rapport sur le registre R-Nano. Il s’agit du noir de carbone et de la silice SiO2 qui en masse sont les deux principaux nanomatériaux (90 %) utilisés ainsi que le dioxyde de Titane (TiO2) et l’argent.                                                                   

Noir de carbone  

Son utilisation est très diversifiée comme :

  • Agent de renforcement du caoutchouc (pneus)
  • Colorant, pigment (encres, toner, peintures, plastiques …)
  • Fabrication de batteries, piles, électrodes …
  • Matériaux isolants
  • Cosmétiques

Depuis 1996, le noir de carbone est classé comme cancérogène possible chez l’homme (catégorie 2b) par le CIRC [8]. Ce risque ne concerne pas uniquement la fraction nanométrique.

Silice

Elle est utilisée notamment pour ses propriétés absorbantes dans les produits de protection intime (couches …) mais aussi dans le bâtiment. En matière de risques liés à l’exposition des travailleurs aux nanoparticules de silice (silicose), il apparaît utile de connaître l’état dans lequel se trouvent les nanomatériaux lorsqu’ils sont manipulés (poudre, suspension liquide, incorporation dans une matrice), les quantités manipulées et les locaux (atmosphère confinée) pour réaliser un suivi épidémiologique.

Dioxyde de titane

Il est très utilisé comme agent colorant pour sa blancheur sous l’appellation Additif E 171 dans les dentifrices, les cosmétiques, l’alimentation (confiserie), les médicaments. Sous sa forme de nanoparticules de TiO2 , il est interdit dans les produits alimentaires depuis le 1er janvier 2020.

La caractérisation des dangers liés aux nanoparticules est très débattue en général mais concernant le dioxyde de titane (TiO2) il est reconnu par le CIRC [8] comme cancérogène (catégorie 2b) c’est-à-dire susceptible de provoquer un cancer par inhalation. L’ étude NANOGUT en 2017 de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), dite NANOGUT, publiée le 20 janvier 2017 [9] et financée montre que l’exposition chronique de rats au dioxyde de titane (additif E 171, partiellement nanométrique) par voie orale serait susceptible d’entraîner des lésions colorectales précancéreuses

Pour la première fois concernant un nanomatériau, l’ANSES a proposé une VTR (Valeur Toxicologique de Référence) pour le TiO2 de 0,12 µg/m3.

Nanoparticules d’argent

Des nanoparticules d’argent sont utilisées pour leurs propriétés antibactériennes et antifongiques. Elles imprègnent des tissus destinés à l’habillement (sous-vêtements, équipement de sports …) pour éliminer les odeurs corporelles ou des matériaux d’emballage pour la conservation des aliments.

Conclusion

 

Les nanomatériaux sont considérés par l’EU – OSHA [10] (Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail) comme l’un des 10 principaux risques émergents sur les lieux de travail.

Le registre R-Nano comporte de nombreux points positifs pour aborder ce nouveau domaine complexe des nanoparticules. Dans la pratique son exploitation fait cependant apparaître des limites qui concernent principalement :

  • La qualité insuffisante des informations déclarées : caractérisation physico-chimique incomplète des nanoparticules (surface spécifique, cristallinité, charge de surface …)
  • Les volumes : les substances pour lesquelles la proportion de nanoparticules à l’échelle nanométrique est inférieure à 50 % ne sont pas déclarées. Pourtant il est évident que des nanos peuvent avoir des effets délétères en dessous de ce seuil .Le rapport préconise d’abaisser ce seuil pour prendre en compte les risques réels de leur utilisation
  • La traçabilité : l’identité de l’utilisateur final du nanomatériau n’est souvent pas connue. La déclaration obligatoire ne s’appliquant qu’aux fabricants, importateurs et distributeurs
  • Un accès limité en raison d’une confidentialité revendiquée au nom du secret des affaires qui fait l’objet d’une protection juridique. Certains acteurs de la santé publique n’ont pas accès au registre (médecins du travail)

Cependant, malgré de nombreuses incertitudes et des lacunes parmi les informations recueillies, le registre R-Nano, de par son antériorité et l’importance des données collectées, constitue un outil très utile pour mesurer la grande diversité des nanomatériaux. Le rapport propose plusieurs pistes d’amélioration pour l’enregistrement des informations et leur exploitation.

Dr Alain RAGON, Pharmacien, Responsable du pôle uro-néphrologie à l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille

[1] ANSES Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
[2] EUON European Union Observatory for Nanomaterials
[3] REACH enRegistrement, Evaluation et Autorisation des produits CHimiques
[4] INERIS Institut National de l’Environnement et des Risques Industriels [5] INRS Institut National de Recherche et de Sécurité
[6] ANSM Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé
[7] SPF Santé Publique France
[8] CIRC Centre International de Recherche sur le Cancer
[9] Bettini, S., Boutet-Robinet, E., Cartier, C. et al. Food-grade TiO2 impairs intestinal and systemic immune homeostasis, initiates preneoplastic lesions and promotes aberrant crypt development in the rat colon. Sci Rep 7, 40373 (2017). https://doi.org/10.1038/srep40373
[10] EU-OSHA European agency for safety and health at work

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