Le 4e Plan national santé environnement : des annonces prometteuses desservies par un manque d’ambition et de moyens d’action

Le collectif constitué par l’Association Santé Environnement France (ASEF), la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), France Nature Environnement (FNE), Humanité et Biodiversité (H&B) et la Fédération des Syndicats Vétérinaires de France (FSVF), se félicite que le PNSE 4 reconnaisse comme fil rouge le concept « Une seule santé » et comme objectif stratégique la territorialisation de la santé environnement, selon ses préconisations émises au sein du groupe santé environnement (GSE) et lors de l’audition par la Commission d’enquête parlementaire sur le sujet.

Hélas, nous regrettons que le gouvernement ne mobilise pas des moyens significatifs pour les mettre en œuvre et ne traite pas résolument les risques environnementaux auxquels sont exposées les populations. S’il est souhaitable de permettre aux consommateurs de mieux exercer leur responsabilité grâce à une meilleure information, la priorité devrait être d’accélérer l’interdiction des substances dangereuses. Il ne faudrait surtout pas que la création d’une application numérique « Scan4Chem » relève du gadget. 

Notre santé dépendant de la vitalité des écosystèmes et de leur biodiversité, le PNSE 4 devrait donc mieux intégrer l’interdépendance de la santé humaine avec la santé des animaux, la santé des plantes, le fonctionnement des écosystèmes et le climat et promouvoir une approche élargie et globale du concept « Une seule santé » fondée sur l’interdisciplinarité scientifique et l’engagement de tous les acteurs de la société, tant au niveau national qu’au plus près des bassins de vie : là où sont affectées les populations par des facteurs d’expositions qui leurs sont spécifiques.

Or, l’ampleur de la crise sanitaire Covid-19, devenue rapidement crise économique et sociale, a révélé notre incapacité d’anticipation des risques sanitaires et l’absence d’une véritable politique de prévention, mettant à rude épreuve non seulement l’organisation sanitaire, mais aussi les relations entre les élus des territoires et les entités de l’Etat. Malgré les progrès récents de la décentralisation, les compétences limitées des territoires dans nombre de domaines réduisent leurs capacités d’actions pour répondre aux problématiques locales : c’est tout l’enjeu d’une véritable territorialisation dans le domaine de la santé-environnement, auquel ne répond pas ce plan.

Le progrès conceptuel de ce quatrième plan est desservi par le manque de moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une véritable politique de prévention sanitaire environnementale, par rapport à ce que nous préconisons :

  1. Si la santé environnement est bien reconnue comme une priorité du XXIe siècle, alors celle-ci nécessite une gouvernance à la fois interministérielle et territorialisée :
  • Il est nécessaire de coordonner tous les ministères concernés par cette démarche transversale d’« une seule santé », au-delà de l’environnement et de la santé, y compris le ministère de l’économie et des finances, compétent pour évaluer le coût de l’inaction faute de prévention, le coût des externalités négatives supportées par la collectivité et le retour sur investissement potentiellement considérable d’une véritable politique de prévention (un rapport du Sénat de 2015 évalue à 100 milliards d’euros par an, le seul coût de la pollution de l’air); actuellement, seulement 1 à 2 % des budgets « santé » vont à la prévention ; le PNSE4 évoque  des moyens financiers sans donner de précision et donc se condamne à pérenniser le manque de résultats des plans précédents ;
  • Cette coordination implique une recherche pluridisciplinaire pour renforcer la synergie des organismes concernés : la création d’une base de données « Green data for Health » va dans ce sens pour préciser cette exposition aux risques environnementaux dénommée exposome ; mais il s’agit aussi de décloisonner les plans sectoriels existants (il en existe 35, qualifiés de plans silos car non coordonnés); pour gagner en efficacité, simplifier l’approche administrative et aussi pour être applicables par des territoires dotés de nouvelles compétences ;
  • Des mesures législatives doivent par conséquent être prises sur la territorialisation de la santé environnement – une seule santé, ce que le PNSE 4 n’aborde pas. La démarche volontaire de quelques collectivités territoriales pionnières doit être généralisée par une réglementation permettant d’appréhender de façon ciblée leur exposome, grâce à de nouvelles compétences élargies en santé et environnement (actuellement, limitées à un pouvoir de police en hygiène et salubrité publiques), compétences nécessaires à la mise en œuvre d’une politique de prévention spécifique à chaque territoire, nécessaire aussi à la réduction des inégalités sociales en santé environnement.
  1. La mise en place de formations adaptées à la santé environnement est également fondamentale :
  • Une fois de plus, la formation des professionnels de santé, véritable relais auprès des citoyens pour la prévention des facteurs de risque environnementaux, est proposée comme déjà en 2004 lors du premier PNSE, sans avancée significative depuis lors. Le flou persiste avec cette nouvelle annonce sur l’obligation de formation que réclament les professionnels de santé et les étudiants de la filière, car les moyens opérationnels ne sont pas clarifiés or pour conseiller les patients, il est indispensable d’être formé;
  • Pour tendre vers une culture de prévention partagée, il faut également promouvoir des formations, initiales et continues, auprès des autres professionnels de nombreux corps de métiers et branches industrielles dont les activités peuvent impacter l’environnement et la santé (agriculture, bâtiment et travaux publics, filières énergétiques, etc …) ainsi que pour les élus et cadres territoriaux qui sont au contact des populations ; or celle-ci est abordée trop évasivement ou avec des lacunes, particulièrement pour qu’ils soient vraiment en mesure de mettre en œuvre des plans d’actions santé environnement adapté à leur territoire. Le tronc commun de formation des futurs hauts fonctionnaires, annoncé par le Gouvernement autour du nouvel Institut de Service Public (qui va remplacer l’ENA) avec 12 autres écoles de service public, devrait intégrer une thématique « Une seule santé » en lien avec les enjeux santé-environnement. 

3.Une véritable territorialisation de la santé environnement dotée de compétences et de moyens permettrait d’améliorer les données et de renforcer les registres épidémiologiques grâce aux inventaires des risques et indicateurs spécifiques aux territoires; ce qui permettrait de mieux comprendre et prévenir l’émergence de clusters, tels ceux de cancers pédiatriques ou de malformations néonatales, particulièrement traumatisants pour des familles qui n’ont pas de réponses à leurs interrogations.

4.Les redoutables effets cocktails des expositions multiples à faibles doses ne doivent plus être ignorés des procédures de mise sur le marché des produits; beaucoup trop de pratiques sont autorisées sous le couvert de « normes » pondérales faussement sécurisantes pour être déjouées par nombre de perturbateurs endocriniens agissant à très faibles doses dans la progression de maladies métaboliques comme le diabète et le surpoids, des atteintes de la fertilité et des maladies chroniques.

L’étiquetage et le toxiscore des produits ménagers est une bonne chose pour mieux informer les citoyens, mais aucun contrôle de la véracité des affirmations des industriels n’est proposé ; par exemple, l’institut national de la consommation a montré que nombre d’étiquetages sur les produits de décoration sont faussement avantageux au profit des fabricants(*) ; pourquoi ne pas favoriser les industriels vertueux qui respectent les règles et font des efforts de réduction des substances toxiques en instaurant un contrôle obligatoire et en renforçant l’interdiction des substances dangereuses ?

Pour les présidents Pierre Souvet de l’ASEF, Denis Couvet de la FRB, Arnaud Schwartz de FNE, Jean-Yves Gauchot de la FSVF et Bernard Chevassus-au-Louis de H&B :

La remarquable intégration dans le PNSE 4 de la démarche « une seule santé » dans les politiques publiques et les territoires, ne doit surtout pas masquer un transfert de responsabilité de l’Etat vers les consommateurs, sans pour autant renforcer l’éradication des substances extrêmement préoccupantes : cet objectif doit être conforté par davantage de moyens stratégiques, législatifs, logistiques et financiers ; il est temps que  le droit constitutionnel « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » devienne effectif.

A cette fin et pour compléter notre analyse des actions de ce PNSE 4, nos associations vont adresser au gouvernement un cahier de propositions issues des travaux du colloque que nous venons d’organiser le 17 mars 2021 sur le thème « Une seule santé : en pratique ? ».  Ces préconisations traitent aussi de la question fondamentale délaissée par ce plan : celle des enjeux liés à la biodiversité, que ce soit l’impact des politiques de santé humaine, animale et végétale sur la biodiversité et, surtout, les effets bénéfiques potentiels de la biodiversité sur ces composantes de « une seule santé ».

Il s’agit de passer de l’hygiène et de la salubrité publiques dont les textes fondateurs remontent au XIXe siècle, à la santé environnement – une seule santé du XXIe siècle ; véritable transition sociétale nécessitant de changer de paradigme, avec pour maîtres mots : transversalité, prévention, territorialité.

(*) INC : essai sur les peintures à l’eau   juin 2019

Téléchargements