21 novembre 2025

PFAS et travailleurs : un danger invisible dans nos usines

Alors que les débats sur la transition écologique se multiplient, un autre enjeu, plus silencieux, menace la santé de milliers de travailleurs : celui des PFAS. Ces « produits chimiques éternels », présents dans de nombreux environnements industriels, incarnent l’un des défis sanitaires les plus complexes de notre temps. Derrière la performance et la durabilité vantées par ces substances, se cache une réalité préoccupante : une exposition quotidienne, souvent invisible, mais potentiellement lourde de conséquences pour les salariés.

En 2024, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a proposé une restriction globale de plus de 10 000 composés PFAS¹. Une mesure saluée par les organisations de santé publique, mais qui soulève une question cruciale : comment protéger ceux qui y sont encore directement exposés ?

Les PFAS, ces « produits chimiques éternels »

Utilisés depuis les années 1940, les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) ont révolutionné de nombreux secteurs : textiles imperméables, poêles antiadhésives, emballages alimentaires, mousses anti-incendie ou encore composants électroniques. Leur particularité ? Une résistance exceptionnelle à la chaleur, à l’eau et à la graisse.
Mais cette stabilité chimique est aussi leur principal défaut : les PFAS ne se dégradent quasiment pas dans l’environnement, d’où leur surnom de « polluants éternels ».²

Selon l’ANSES, ces substances s’accumulent dans l’organisme humain et sont aujourd’hui détectées dans le sang de la quasi-totalité de la population mondiale.³ Certaines études les relient à des troubles hormonaux et thyroïdiens, des troubles métaboliques, des maladies cardio vasculaires, des désordres neurologiques et comportementaux, une altération du système immunitaire, à des effets sur la reproduction ou encore à une augmentation du risque de cancers du rein et du testicule.

Des travailleurs en première ligne

Si la population générale est exposée à faibles doses via l’eau potable ou l’alimentation, certains travailleurs côtoient quotidiennement des concentrations bien plus élevées.
Les plus exposés sont ceux de la chimie et de la production de fluoropolymères, les personnels d’aéroports ou de services d’incendie utilisant des mousses contenant du PFAS, ainsi que les ouvriers du textile ou du traitement des eaux contaminées.

Dans une usine, sur un tarmac ou dans une station d’épuration, l’exposition peut se faire par inhalation de poussières, contact cutané ou ingestion accidentelle.
Selon une étude publiée dans Environmental Health Perspectives, les concentrations sanguines de PFAS chez certains ouvriers de la fluorochimie dépassent jusqu’à 50 fois celles du grand public. Un danger souvent invisible, car les symptômes ne se manifestent qu’après des années d’exposition.

Un risque méconnu, un suivi encore insuffisant

Longtemps ignoré, le risque professionnel lié aux PFAS émerge à peine dans les politiques de santé au travail. En France, l’ANSES souligne le manque de données concernant la surveillance des PFAS dans l’air et les poussières et sur l’exposition des travailleurs et recommande un élargissement urgent de la surveillance.
Pour l’heure, peu d’entreprises disposent de protocoles spécifiques, et la plupart des salariés ignorent la nature exacte des produits qu’ils manipulent.

Ce déficit d’information est d’autant plus préoccupant que les PFAS peuvent s’accumuler dans le sang pendant plusieurs années. Sans suivi médical régulier, les effets sur la santé, parfois irréversibles, passent inaperçus.
À cela s’ajoute une culture du silence : dans les environnements industriels, évoquer la toxicité d’un produit reste souvent perçu comme un tabou, voire une menace pour l’activité économique.

Prévenir plutôt que subir

Protéger les travailleurs face aux PFAS n’est pas une utopie. Les mesures efficaces existent :

  • Équipements de protection individuelle adaptés (gants, masques, combinaisons résistantes)
  • Ventilation et confinement des zones de travail
  • Analyses environnementales pour surveiller la qualité de l’air et des poussières
  • Biomonitoring régulier, avec dosages sanguins pour évaluer la charge corporelle en PFAS 
  • Formation et sensibilisation des salariés et des managers pour comprendre les risques et adopter les bons gestes.

Ces actions simples mais fondamentales peuvent réduire considérablement l’exposition. Pourtant, leur mise en œuvre dépend souvent de la volonté de l’entreprise et du niveau de pression réglementaire.

Vers un futur sans PFAS ?

L’Union européenne s’est engagée dans une démarche de substitution progressive de ces substances, à travers la stratégie européenne sur les produits chimiques durables.
Mais remplacer les PFAS reste un défi technologique : peu d’alternatives offrent la même efficacité, et le risque est de créer de nouveaux composés dont les effets restent inconnus.

L’ANSES rappelle que face à cette pollution, il est prioritaire d’agir à la source en limitant les émissions de l’ensemble de cette famille de produits chimiques.

Pour les travailleurs, la priorité doit rester la prévention. Cela passe par la reconnaissance de leur exposition, l’adoption de standards de sécurité clairs et le renforcement des contrôles. Car derrière chaque produit résistant, il y a des mains, des visages, des corps qui payent parfois le prix de la performance.

¹ ECHA (2024). Proposal to restrict PFAS under REACH. / URL : https://echa.europa.eu/fr/-/echa-publishes-pfas-restriction-proposal 

² CDC/NIOSH, 2023 – PFAS About /URL : https://www.cdc.gov/niosh/pfas/about/index.html

³ ANSES, 2025 – PFAS : élargir la surveillance / URL : https://www.anses.fr/fr/content/surveillance-nationale-des-PFAS-integrer-les-donnees-de-contamination-et-de-toxicite#:~:text=Dans%20ce%20contexte%2C%20l’Anses,donn%C3%A9es%20relatives%20%C3%A0%20142%20PFAS.

⁴ National Cancer Institute, 2024 – PFAS and Cancer Risk. / URL : https://dceg.cancer.gov/research/what-we-study/pfas

⁵ CDC / NIOSH (2023). PFAS and Occupational Exposure. / URL : https://stacks.cdc.gov/view/cdc/231372 

⁶ ANSES, 2023 – Évaluation de l’exposition professionnelle aux PFAS / URL : https://www.anses.fr/fr/content/pfas-substances-chimiques-persistantes#:~:text=En%20d%C3%A9cembre%202023%2C%20le%20Centre,Homme%20%C2%BB%20(Groupe%202B)

⁷ EPA, 2023 – PFAS Pharmacokinetics / URL : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK601565/

⁸ ECHA, 2025 – Restriction Proposal / Url : https://echa.europa.eu/fr/-/echa-publishes-updated-pfas-restriction-proposal