23 juillet 2025

Vagues de chaleur : une menace silencieuse à tout âge…

Le mois de juin 2025 est le plus chaud jamais enregistré en Europe de l’Ouest selon le service européen Copernicus[1] et soulève des inquiétudes sur le climat. Avec des températures moyennes largement supérieures aux normales saisonnières (jusqu’à 4°C au dessus[2]) cette canicule marque un tournant dans la nécessaire prise de conscience des effets du changement climatique. Si les impacts les plus visibles sont les incendies, les sécheresses ou encore les décès liés à la chaleur, une nouvelle série d’études pointe un risque plus insidieux : les vagues de chaleur pourraient affecter durablement le développement des enfants, dès la grossesse.

Les risques d’une grossesse en pleine chaleur

Les femmes enceintes figurent parmi les populations les plus à risque. En effet il semblerait que des températures élevées pendant la grossesse augmentent le risque de complications graves. Les vagues de chaleur sont ainsi associées à un déclenchement prématuré de l’accouchement, une augmentation des cas de mortinatalité (naissance d’un enfant sans vie après six mois de grossesse), une hausse du taux de prématurité ou encore des naissances avec un faible poids[3].

Les mécanismes en jeu sont multiples. L’exposition à la chaleur peut provoquer une déshydratation maternelle, une diminution du débit sanguin placentaire, des inflammations ou des déséquilibres hormonaux, autant de facteurs susceptibles de perturber le développement du fœtus. Certaines études évoquent même un lien entre la chaleur prénatale et des anomalies du tube neural, des troubles psychiatriques ultérieurs ou des difficultés d’apprentissage à l’âge scolaire[4].

Retards de langage, troubles cognitifs : un cerveau en danger

La vulnérabilité face à la chaleur ne se limite pas aux simples nourrissons mais concerne aussi les enfants. Leur organisme, encore en développement, ne parvient pas à réguler efficacement sa température, ce qui les expose à des risques physiologiques et neurologiques importants. Des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de l’Université Grenoble Alpes ont récemment publié une étude de référence dans la revue Environmental Health, s’appuyant sur les données de la cohorte Elfe — un suivi de plus de 12 000 enfants. Leurs résultats sont alarmants : une exposition à des températures élevées au cours du deuxième trimestre de grossesse (entre la 14e et la 19e semaine) ainsi que durant les sept premiers mois de vie est associée à une baisse de 15 % du score MB-CDI, un indicateur du développement du langage, à l’âge de deux ans[5]. De plus, l’exposition à la chaleur extrême joue un rôle non négligeable dans la baisse généralisée des performances cognitives chez les enfants : mémoire, apprentissage… tous les domaines semblent affectés[6].

De manière encore plus préoccupante, une équipe de chercheurs de l’Institut de Barcelone pour la Santé Mondiale (ISGLOBAL) a mis en évidence des altérations de la substance blanche du cerveau chez des enfants exposés à des températures extrêmes pendant la petite enfance[7]. La substance blanche, responsable de la communication entre les différentes régions du cerveau, est essentielle notamment au langage et au comportement. Ces modifications structurelles pourraient avoir des conséquences durables.

Des effets délétères au-delà de la petite enfance

Si les nourrissons et les femmes enceintes sont les plus exposés, les effets des vagues de chaleur se font sentir à tous les âges. Chez les enfants plus âgés, la chaleur peut perturber le sommeil, l’humeur et les capacités d’apprentissage. Des épisodes de violence, d’irritabilité ou d’agressivité sont également plus fréquents lors des périodes caniculaires, probablement en raison de la perturbation des neurotransmetteurs liée à la chaleur[8]. Chez les adultes, on observe une augmentation des hospitalisations pour déshydratation, troubles rénaux, respiratoires ou cardiovasculaires. Le cerveau lui-même est en danger : en cas de chaleur excessive, il ne parvient plus à se refroidir correctement, ce qui peut entraîner des lésions ou des crises neurologiques[9].

L’usage d’alcool ou de drogue peut altérer la thermorégulation et la sensibilité à la chaleur. Des médicaments plus courants comme des antihistaminiques, antidépresseurs ou anti-parkinsonniens sont éventuellement capables d’altérer la thermorégulation ou la transpiration.

Inégalités sociales : la chaleur frappe plus fort les plus fragiles

Les risques liés aux vagues de chaleur que nous avons pu évoquer ne sont pas répartis de manière égale dans la population. Les vagues de chaleur sont en effet un facteur d’aggravation des inégalités sociales[10]. Les enfants issus de familles défavorisées, vivant dans des quartiers urbains denses et peu végétalisés, sont plus exposés. Leurs logements sont souvent mal isolés, sans climatisation, et situés dans des « îlots de chaleur urbains » où les températures peuvent être significativement plus élevées qu’ailleurs[11]. De plus, les conditions de logement et d’accès à l’eau, aux soins et à des espaces verts rafraîchissants jouent un rôle clé dans la capacité à se protéger.

Les chercheurs soulignent que ces inégalités environnementales s’ajoutent aux inégalités économiques et sanitaires existantes, accentuant les vulnérabilités. Ainsi, les enfants issus de minorités ethniques ou qui vivent dans des quartiers à faible revenu, sont ceux qui subissent le plus intensément les effets cognitifs des vagues de chaleur[12].

Que faire ? Des pistes pour mieux protéger les plus jeunes

Face à ces constats, plusieurs recommandations émergent pour limiter les impacts de la chaleur sur les enfants mais aussi sur l’ensemble de la population. Il est d’abord essentiel d’adapter les infrastructures : équiper les crèches, les écoles et les centres de soin de dispositifs de rafraîchissement efficaces, tout en garantissant un accès à une énergie propre et continue. L’urbanisme doit aussi évoluer, avec plus de végétation, des matériaux de construction adaptés à ces nouvelles températures et des espaces ombragés accessibles à tous. Cette fin d’année scolaire a été marquée par la fermeture de quelque 2 000 établissements scolaires à cause de ces vagues de chaleur. Par exemple les cours scolaires devraient être végétalisées afin de rafraichir l’espace[13]. Cette végétalisation est d’autant plus conseillée qu’elle permet d’améliorer le microbiote des enfants, essentiel à une bonne immunité. De même, nous pouvons nous rendre compte aujourd’hui avec ces vagues de chaleur de forte intensité que certains bâtiments scolaires sont de véritables passoires thermiques. Il est donc plus que temps de prévoir un plan de rénovation avec la mise en place de systèmes d’isolation performants afin de garantir aux plus jeunes des conditions optimales pour leur apprentissage. Vous pouvez trouver l’ensemble des conseils concernant l’adaptation des établissements scolaires dans la tribune cosignée avec les associations Respire et Clean Cities et publiée dans Le Monde.

CONSULTER LA TRIBUNE

Sur le plan sanitaire, il est crucial de mieux informer les professionnels de santé et les familles sur les dangers des vagues de chaleur pendant la grossesse et la petite enfance. Des dispositifs d’alerte, des conseils simples (hydratation, brumisation et ventilation, sorties aux heures les plus fraiches et limitation de l’activité sportive) et une surveillance accrue des populations vulnérables peuvent faire une vraie différence.

Enfin, les pouvoirs publics doivent intégrer ces enjeux dans leurs politiques sociales et climatiques. Réduire les inégalités d’exposition à la chaleur passe aussi par la lutte contre la précarité énergétique et le soutien aux familles défavorisées.

Alors que le dérèglement climatique s’intensifie, les vagues de chaleur ne sont plus seulement une contrainte estivale : elles constituent un enjeu majeur de santé publique, touchant dès le plus jeune âge. Protéger les enfants de la chaleur devient alors indispensable.

[1] « Climat : le mois de juin 2025 est le plus chaud jamais enregistré en Europe de l’Ouest » ; France 24 ; 09/07/2025 ; URL : Climat : le mois de juin 2025 est le plus chaud jamais enregistré en Europe de l’Ouest – France 24

[2] « Le mois de juin 2025 a enregistré des températures jusqu’à 4°C plus chaudes en Europe » ; RFI ; 09/07/2025 ; URL : Le mois de juin 2025 a enregistré des températures jusqu’à 4°C plus chaudes en Europe

[3] Communiqué de presse « L’exposition à des températures élevées au début de la vie pourrait être à l’origine de troubles linguistiques et neurodéveloppementaux chez les jeunes enfants » ; Inserm ; 07/05/2025 ; URL : L’exposition à des températures élevées au début de la vie pourrait être à l’origine de troubles linguistiques et neurodéveloppementaux chez les jeunes enfants – Salle de presse de l’Inserm

[4] BARBALAT Guillaume, GUILBERT Ariane, ADELAÏDE Lucie, CHARLES Marie-Aline, HOUGH Ian, LAUNAY Ludivine, KLOOG Itai & LEPEULE Johanna ; «  Impact of early life exposure to heat and cold on linguistic development in two-year-old children: findings from the ELFE cohort study » ; Environmental Health ; 09/04/2025 ; URL : Impact of early life exposure to heat and cold on linguistic development in two-year-old children: findings from the ELFE cohort study | Environmental Health | Full Text

 

[5] Communiqué de presse « L’exposition à des températures élevées au début de la vie pourrait être à l’origine de troubles linguistiques et neurodéveloppementaux chez les jeunes enfants » ; Inserm ; 07/05/2025 ; URL : L’exposition à des températures élevées au début de la vie pourrait être à l’origine de troubles linguistiques et neurodéveloppementaux chez les jeunes enfants – Salle de presse de l’Inserm

[6] ASSARI Shervin & ZARE Hossein ; « Extreme Heat Exposure is Associated with Lower Learning, General Cognitive Ability, and Memory among US Children » ; Open Journal of Neuroscience ; 10/01/2025 ; URL : Extreme Heat Exposure is Associated with Lower Learning, General Cognitive Ability, and Memory among US Children | Open Journal of Neuroscience

[7] GRANÉS Laura, ESSERS Esmée, BALLESTER Joan, PETRICOLA Sami, TIEMEIER Henning, IÑIGUEZ Carmen, SORIANO-MAS Carles & GUXENS Mònica ; « Early life cold and heat exposure impacts white matter development in children » ; 12/06/2024 ; URL : Early life cold and heat exposure impacts white matter development in children | Nature Climate Change

[8] Early Childhood Scientific Council on Equity and the Environment ; « Extreme Heat Affects Early Childhood Development and Health » ; Center on the Developing Child Harvard University ; 19/01/2024 ; URL : Extreme Heat Affects Early Childhood Development and Health – Center on the Developing Child at Harvard University

[9] Ibid.

[10] ASSARI Shervin & ZARE Hossein ; « Extreme Heat Exposure is Associated with Lower Learning, General Cognitive Ability, and Memory among US Children » ; Open Journal of Neuroscience ; 10/01/2025 ; URL : Extreme Heat Exposure is Associated with Lower Learning, General Cognitive Ability, and Memory among US Children | Open Journal of Neuroscience

[11] GRANÉS Laura, ESSERS Esmée, BALLESTER Joan, PETRICOLA Sami, TIEMEIER Henning, IÑIGUEZ Carmen, SORIANO-MAS Carles & GUXENS Mònica ; « Early life cold and heat exposure impacts white matter development in children » ; 12/06/2024 ; URL : Early life cold and heat exposure impacts white matter development in children | Nature Climate Change

[12] Ibid.

[13] Cerema ; « Agir maintenant contre la surchauffe dans les écoles » ; Juin 2025 ; URL : Agir maintenant contre la surchauffe dans les écoles : les écoles face au risque climatique – Cerema