Pyréthrinoïdes : un danger invisible dans nos maisons
Depuis le retour massif des moustiques en France, et notamment du moustique tigre, les ventes de sprays, diffuseurs et autres anti-insectes ont explosé. Si ces produits promettent confort et tranquillité, ils contiennent souvent des substances préoccupantes : les pyréthrinoïdes. Derrière leur efficacité apparente se cachent des effets inquiétants sur la santé, en particulier celle des enfants, et sur notre environnement.
Les pyréthrinoïdes, qu’est-ce que c’est ?
Les pyréthrinoïdes sont des insecticides utilisés dans des domaines très variés. En effet, dans le secteur agricole, le secteur vétérinaire avec les produits antiparasitaires, le secteur du textile ou encore celui de la protection des bâtiments avec la lutte contre les termites, les pyréthrinoïdes sont largement employés par les diverses professions. De même en dehors du secteur professionnel nous pouvons également observer un fort usage domestique de ce type d’insecticide. Selon un rapport de l’Institut de veille sanitaire paru en 2013, les pyréthrinoïdes s’avèrent être les insecticides plébiscités dans les maisons françaises[1]. Ils apparaissent sous de nombreuses formes dans notre quotidien : sprays et prises de diffusion anti-moustiques, shampoings anti-poux, colliers antipuces des animaux de compagnie, sur nos fruits et légumes cultivés sous serre…
Plus spécifiquement les pyréthrinoïdes sont des composés synthétiques dérivés des pyréthrines, substances naturelles qui peuvent être retrouvées dans certaines fleurs comme les chrysanthèmes[2]. Leur mode d’action consiste en un blocage de la neurotransmission chez les insectes provoquant leur paralysie puis leur mort, d’où leur nom de neurotoxique[3]. Si les pyréthrines en raison de leur photosensibilité se dégradent rapidement au contact de la lumière et de la chaleur, leur transformation en pyréthrinoïdes a pour objectif d’améliorer leur résistance à la lumière et donc leur puissance[4].
Parmi les pesticides les plus utilisés dans le monde, les pyréthrinoïdes représentent près de 17 % du marché mondial des insecticides pour une valeur de 7 milliards de dollars[5]. Les pays où ces insecticides sont les plus présents restent le Canada et les Etats Unis. Aujourd’hui environ 614 pesticides contenant des pyréthrinoïdes sont homologués au Canada, plus de 3 500 du côté des Etats Unis[6]. La France faisant partie des pays les plus consommateurs de pesticides[7], mettre en lumière les effets des pyréthrinoïdes sur notre santé est essentiel.
Des risques pour la santé avérés…
L’usage quotidien fait de pyréthrinoïdes ne rend pas pour autant ces insecticides inoffensifs pour notre santé. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question des risques sanitaires dus à une exposition aux pyréthrinoïdes. Des bronchites chroniques ont été observées chez des agriculteurs qui utilisent ce type d’insecticide (Hoppin, 2007)[8]. De même, d’après une étude menée par l’ANSES, une exposition aux pyréthrinoïdes aurait des conséquences sur nos comportements : anxiété, symptômes dépressifs mais aussi sur notre capacité à procréer avec un risque d’infertilité plus élevé. Une substance de la famille des pyréthrinoïdes, la deltaméthrine, est également associée à un risque de leucémie lymphoïde chronique[9].
Les adolescents sont également à risque face à une exposition aux pyréthrinoïdes, avec des risques de puberté précoce pouvant aboutir à un cancer des testicules chez les garçons ou du sein chez les filles à l’âge adulte, de l’hypertension, du diabète ou encore des problèmes cardiaques. Ces effets variés sur la reproduction, la croissance ou encore le métabolisme traduisent l’action perturbatrice des pyréthrinoïdes sur le système endocrinien, c’est-à-dire le système hormonal. Ce dernier régule des fonctions essentielles de l’organisme : développement sexuel, fonction thyroïdienne, réponse au stress, régulation du sucre dans le sang, etc[10].
Les troubles du comportement s’observent particulièrement chez les enfants qui font face à des troubles du langage, TSA ou TDAH. En effet, une étude épidémiologique récente (Qi et al., 2022) atteste que l’exposition pendant la grossesse ou lors de la petite enfance aux pyréthrinoïdes semble avoir un effet sur le neuro-développement et donc sur la survenue de ces troubles[11]. Une étude menée par Jean-François Viel et Cécile Chevrier, chercheurs de l’Inserm, et publiée dans la revue Environnement International montre que les enfants les plus exposés aux pyréthrinoïdes obtiennent de moins bons résultats aux tests mémoriels et de compréhension verbale. L’analyse de la cohorte Pélagie qui suit depuis 2002 la santé de 3 500 duos mère/enfant en Bretagne dont 300 duos ont participé à l’étude sur ces insecticides. Une augmentation des taux urinaires de deux métabolites des pyréthrinoïdes (3-PBA et cis-DBCA) chez les enfants est associée à une baisse significative de leurs performances cognitives[12]. L’augmentation de ces taux peut aussi s’expliquer par une exposition lors du développement embryonnaire. Les pyréthrinoïdes affectent le système nerveux entrainant un risque accru de troubles du spectre autistique et de retard de développement[13].
Les nouveaux nés sont ainsi fortement à risque notamment lors d’une exposition à ces insecticides durant la grossesse. En effet au cours du 1er ou du 2e trimestre, l’exposition d’une femme enceinte aux pyréthrinoïdes peut entrainer une diminution du poids du nouveau-né à sa naissance (Hanke, 2003)[14]. Encore plus dangereux pour le fœtus, une exposition lors du 3e trimestre augmente le risque de mort fœtale (Hanke et Jurewicz, 2004)[15].
Les enfants particulièrement exposés à ces insecticides
Comme évoqué précédemment, les enfants sont particulièrement à risque lors d’une exposition aux pyréthrinoïdes. Cependant ce qui pose problème, c’est cette forte exposition à laquelle font face les enfants. L’étude Esteban a pu montrer que l’imprégnation de la population française par les pesticides (Santé publique France, 2021) est plus élevée chez les enfants que les adultes[16].
Les enfants sont exposés plus fréquemment que les adultes pour plusieurs raisons. D’une part, les pyréthrinoïdes sont présents dans bon nombre de shampoings anti-poux, produits à destination des enfants. De même, les contacts mains-bouches fréquents ainsi qu’une proximité aux poussières du sol stockant les polluants favorisent l’inhalation des produits type pyréthrinoïdes.
L’ingestion des aliments contaminés (notamment les fruits et légumes) est considérée comme une des principales voie d’exposition. Une étude menée aux États-Unis révèle que 5% des aliments consommés de manière régulière par des enfants comportent des traces de pyréthrinoïdes[17].
Comment s’en protéger ?
Selon certaines études menées, les risques pour la santé peuvent s’observer au-delà d’une certaine dose d’imprégnation des pyréthrinoïdes. Selon la réglementation, les doses admissibles varient entre 0,002 et 0,07 mg de résidus par kg de poids corporel par jour[18].
Toutefois, il est plus simple de trouver des alternatives pour les consommateurs. Par exemple, certaines plantes comme les chrysanthèmes bien que moins persistantes dans l’environnement sont efficaces contre les parasites et peuvent servir d’insecticide naturel dans les jardins sans risque pour notre santé.
Il est également important de savoir identifier les pyréthrinoïdes dans les produits achetés. Pour cela, il suffit de lire les étiquettes et éviter les produits contenant des composants dont le nom se termine par « -thrine », comme perméthrine, cyperméthrine…
Souvent dans des produits utilisés en intérieur, aérer et aspirer régulièrement le sol permettent de limiter l’exposition des enfants aux pyréthrinoïdes. Pour ce qui est des traitements anti-poux, il est conseillé de privilégier le peignage minutieux plutôt que l’usage de produits à base de pyréthrinoïdes. Les fruits et légumes peuvent comporter des traces de pyréthrinoïdes. Consommer bio et local permet ainsi de limiter les risques d’imprégnation. Enfin pour ce qui est des moustiques, il est possible d’installer des moustiquaires, efficaces pour empêcher l’entrée des moustiques, afin de remplacer les diffuseurs électriques. La lutte contre les gîtes larvaires du moustique tigre doit être une action collective et coordonnée avec les voisins, car éliminer les eaux stagnantes uniquement chez soi ne suffit pas : le moustique se déplace facilement d’une habitation à l’autre dans un rayon de plusieurs centaines de mètres.
[1] FRÉOUR Pauline, « Pesticides : la France mauvaise élève », Le Figaro, 30/04/2013 ; URL : Pesticides : la France mauvaise élève
[2] « Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes », Équiterre, 07/07/2015 ; URL : Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes | Équiterre
[3] « Impact de l’exposition environnementale aux insecticides sur le développement cognitif de l’enfant de 6 ans », Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM), 9/06/2015 ; URL : 2015_06_09_CP_InsecticVsDvlptCognEnf
[4] « Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes », Équiterre, 07/07/2015 ; URL : Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes | Équiterre
[5] « Document d’information : les pyréthrinoïdes, utilisés à la maison, mais non sans dangers », Association Canadienne des Médecins pour l’Environnement (ACME) & Équiterre ; URL : Microsoft Word – Fiche information pyréthrinoïdes_rev_LHE_b+NS.docx
[6] Ibid.
[7] « Un insecticide pyréthrinoïde en cause dans la puberté précoce chez les garçons », La Dépêche, 04/04/2017 ; URL : Un insecticide pyréthrinoïde en cause dans la puberté précoce chez les garçons – ladepeche.fr
[8] « Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes », Équiterre, 07/07/2015 ; URL : Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes | Équiterre
[9] « Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé », ANSES, 24/04/2025 ; URL : Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé | Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
[10] « Que sont les perturbateurs endocriniens ? », Santé Publique France, 28/02/2022 ; URL : Que sont les perturbateurs endocriniens – Santé publique France
[11] « Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé », ANSES, 24/04/2025 ; URL : Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé | Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
[12] « Impact de l’exposition environnementale aux insecticides sur le développement cognitif de l’enfant de 6 ans », Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM), 9/06/2015 ; URL : 2015_06_09_CP_InsecticVsDvlptCognEnf
[13] HÉNAULT-ÉTHIER Louise, « Impacts des insecticides pyréthrinoïdes sur la santé humaine et environnementale et Compte rendu sur les pesticides dans l’eau souterraine », Équiterre, 18/01/2016 ; URL : (PDF) Impacts des insecticides pyréthrinoïdes sur la santé humaine et environnementale et Compte rendu sur les pesticides dans l’eau souterraine
[14] « Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes », Équiterre, 07/07/2015 ; URL : Lumière sur 3 pesticides très utilisés : néonicotinoïdes, atrazine, pyréthroïdes | Équiterre
[15] Ibid.
[16] « Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé », ANSES, 24/04/2025 ; URL : Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé | Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
[17] « Document d’information : les pyréthrinoïdes, utilisés à la maison, mais non sans dangers », Association Canadienne des Médecins pour l’Environnement (ACME) & Équiterre ; URL : Microsoft Word – Fiche information pyréthrinoïdes_rev_LHE_b+NS.docx
[18] HÉNAULT-ÉTHIER Louise, « Impacts des insecticides pyréthrinoïdes sur la santé humaine et environnementale et Compte rendu sur les pesticides dans l’eau souterraine », Équiterre, 18/01/2016 ; URL : (PDF) Impacts des insecticides pyréthrinoïdes sur la santé humaine et environnementale et Compte rendu sur les pesticides dans l’eau souterraine