14 février 2020

"L'EAU QUI PIQUE" ou comment la biodiversité peut nous protéger des moustiques- Episode 2

 

Gilles PIPIEN, Administrateur Humanité et Biodiversité

À l’occasion de la Journée mondiale des zones humides (2 février) dont le thème
pour l’année 2020 met à l’honneur la biodiversité, Gilles Pipien vous conte
l’histoire des humains et des moustiques à travers un récit palpitant et riche en
rebondissements. Plongez dans l’univers des zones humides, découvrez leurs
intérêts écologiques et que l’envie d’apprendre soit avec vous !

Episode 2: L’attaque des humains : à mort les
moustiques !

 

Prologue : Du Moyen-Âge jusqu’au début du XXème siècle, on a tenté de faire disparaître les zones humides qui avaient pour réputation de générer maladies, mauvaises humeurs et autres superstitions populaires. Aujourd’hui, elles sont protégées par la convention de Ramsar, célébrée chaque année le 2 février à l’occasion de la Journée mondiale des zones humides. Même si actuellement on ne reproche plus rien à ces milieux caractéristiques, un nouvel ennemi directement lié aux zones humides agace les humains : le moustique.

Découvrir L’Eau qui Pique – Episode 1 : La « menace » des zones humides

En fait, il y a plus de 50 espèces différentes de moustiques, chez nous, en France métropolitaine, mais très peu s’attaquent aux humains (beaucoup ayant d’autres priorités tels que les oiseaux, ils sont alors dits ornithophiles), et certains restent casaniers, peu enclins à s’éloigner.

D’abord comprendre l’ennemi : en fait, les œufs peuvent attendre les bonnes conditions (submersion), c’est la diapause [5], qui peut durer plusieurs mois (et passer l’hiver), voire plusieurs années. Ensuite se développent des larves (à plusieurs stades de développement) qui surnagent juste sous la surface de l’eau, avant que les adultes n’émergent. Les moustiques se nourrissent surtout de nectar (ils sont d’ailleurs des pollinisateurs), mais, avant de pondre, les femelles ont besoin de protéines, qu’elles trouvent dans le sang de vertébrés : l’homme étant une des cibles pour certaines espèces, c’est là qu’arrive la nuisance.

Très vite, il est apparu que le meilleur moment pour agir est au stade larvaire. Et l’on se mit d’abord à répandre force DDT [6] : oups, quel poison ! On attendit quand même plusieurs années, avant que le célèbre cri d’alarme de la biologiste américaine Rachel Carlson [7] ne se traduise par une interdiction quasi généralisée de ce produit, désertifiant et dangereux pour notre santé, sans parler de la création de moustiques résistants. On avait aussi répandu du pétrole en nappe, étanchant la surface de ces étangs : on tua certes des larves (et toute la faune aquatique), mais on se fabriqua de sacrées marées presque noires ! Le DDT ne fut plus utilisé dans le sud de la France dès son interdiction au début des années 70, mais prirent alors le relais des organophosphorés, tels le fénitrothion ou le téméphos (alors recommandés par l’OMS).

Face à Attila par hélicoptère, des unions inattendues se firent, par exemple en Camargue, entre « écolos » de la Réserve naturelle de l’étang du Vaccarès, ou de la Tour du Valat, et chasseurs, voyant mourir leurs canards, d’ailleurs si avides de moustiques. Et donc, la Camargue n’a pas fait l’objet d’opérations de démoustication, mais une expérimentation est menée depuis 2006 uniquement, sur  une partie très réduite de son territoire (autour des communes de Port Saint-Louis du Rhône et de Salins de Giraud).

Le salut (provisoire) nous est venu des États-Unis avec la découverte d’un agent « biologique », le Bacillus thuringiensis serotype israelensis (Bti), une bactérie (bacille), qu’on trouve naturellement dans le sol, aux propriétés entomopathogènes : elle génère des cristaux toxiques, une fois que les larves de moustiques (et de mouches noires) l’ont ingérée. L’EID Méditerranée, dont les méthodes de lutte font l’objet depuis longtemps de réflexions [8], traite environ 30 000 hectares (cumulés) de zones humides par an (ceci est très variable d’une année à l’autre), surtout par épandage aérien (environ 75 %), et, pour le complément, par épandage terrestre. Elle utilise le Bti au plan opérationnel depuis 1997, et de manière exclusive depuis 2007. Le Bti est désormais le seul larvicide autorisé, en milieu naturel, par l’Union Européenne. A priori, avec quatre principes actifs, pas de résistance à prévoir : voire…

Remerciements à Mylène Weil, université de Montpellier, Marion Wittecoq, Tour du Valat et aux spécialistes EID Méditerranée et Jean-Michel Berenger

Ochlerotatus caspius F butinage Arles ©EID Méditerranée – Jean-Baptiste Ferré

Sources

[5]  phase dans le développement d’un organisme, durant laquelle cet organisme diminue l’intensité de ses activités métaboliques : chez le moustique elle est associée à la résistance à la dessiccation de ses œufs (leur capacité de survivre en absence d’eau durant plusieurs jours).

[6] Le DDT ou Dichlorodiphényltrichloroéthane est un puissant insecticide utilisé dans la lutte contre les moustiques

[7]  « le printemps silencieux » (Silent spring) 1962

[8] voir notamment http://www.lifeplusmoustique.eu/