Le débrief de l'ASEF du 4 janvier 2018

Bonjour à tous,

Toute l’équipe de l’Association Santé Environnement France vous souhaite tous ses vœux pour 2018. Que cette nouvelle année vous apporte bonheur, réussite et surtout une bonne santé !

Dans notre actu santé, justement, l’ASEF vous propose cette semaine un long débrief sur l’installation des nouveaux compteurs électriques Linky. Alors qu’Enedis, la filiale d’EDF en charge du réseau de distribution d’électricité, accélère la cadence, de nombreux citoyens, communes et associations refusent ces compteurs qu’ils jugent dangereux pour la santé. En cause, les ondes électromagnétiques émises par Linky. Alors, faut-il s’inquiéter ? Le point dans ce débrief.

Faut-il s’inquiéter des compteurs électriques Linky ?

Depuis décembre 2015, des compteurs dits « intelligents » sont installés par Enedis (ex ERDF) sur toute la France, et devraient concerner à terme 35 millions d’habitations, bâtiments publics, commerces et entreprises, cliniques et hôpitaux, hôtels et restaurants, crèches et écoles, collèges et lycées… Cette décision fait suite au vote de la Directive européenne du 13 juillet 2009 transposée en droit français par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissante verte.

Ces compteurs sont chargés de collecter et de transmettre à distance des données à Enedis sur la consommation électrique de chaque citoyen, de chaque entreprise. Ils peuvent aussi recevoir des ordres concernant les opérations de gestion du réseau (rétablissement de courant, coupure pour diverses raisons…).

Quel modèle de compteur pour la France

Enedis met en place une technologie basée sur l’utilisation du courant porteur en ligne (CPL) qui se superpose sur le courant électrique traditionnel de 50 Hertz, inspirant les plus vives craintes quant à sa prétendue innocuité sur le plan sanitaire.

Ce deuxième signal se propage dans l’installation électrique 24h/24, pour être reçu et décodé à distance. Enedis affirme que cette technologie est sans crainte et utilisée depuis 50 ans notamment pour le passage heures pleines / heures creuses. Ce type de CPL n’est pas comparable à celui du Linky. Il s’agit du CPL  « Pulsadis » d’une fréquence de 175 hertz. Pour le Linky G1, la plage de fréquences utilisées est comprise entre 63,3 KHertz  et 74 KHertz (gamme des radiofréquences ou RF). Les compteurs de type G3, installés depuis 2017, utilisent également les RF (35,9 et 90,6 Khertz). L’ajout de fonctionnalités passera à court ou moyen terme par un équipement radio (émetteur radio Linky ou ERL) adjoint au compteur Linky. Cet émetteur permettra l’envoi périodique de données en temps réel par ondes GSM. Deux bandes de fréquences sont prévues à cet effet : 868 Mhz et 2,4 Ghz. Ce module permet de connaître en temps réel la consommation de l’habitat, et il a également pour finalité de transmettre des informations aux appareils connectés de la maison (à terme les appareils électroménagers seront équipés de puces).

Enedis a pendant de longs mois affirmé que les ondes ne diffusaient pas dans l’habitat. Pourtant, il faut savoir que dès lors qu’un signal électrique circule dans un conducteur, comme les fils électriques ou les appareils électroménagers, celui-ci crée dans son environnement proche un champ électromagnétique (CEM). Ainsi, au champ créé par le courant électrique de 50 hertz, viennent s’ajouter les ondes radio (ondes courtes) générées par la circulation du CPL dans les câbles. Le réseau électrique n’étant pas blindé, des ondes rayonnent le long des câbles électriques et dans les appareils, ampoules….

Les données collectées par les compteurs Linky sont ensuite acheminées via le CPL jusqu’à des concentrateurs installés dans le local du poste de distribution électrique. L’ensemble des compteurs reliés à un même poste électrique / concentrateur est appelé une grappe. Toutes les informations collectées dans une grappe sont ensuite envoyées par le concentrateur au moyen d’une liaison de téléphonie mobile en mode « données » (module GPRS installé dans le boitier du concentrateur) à un système d’information centralisé. Chaque compteur peut également servir de relais (routage) en répétant les informations qui sont destinées à un compteur plus éloigné du concentrateur, pour lequel le signal reçu directement serait trop faible pour être détecté correctement. Plusieurs compteurs peuvent temporairement être routeurs / répéteurs sur un chemin donné, ce qui complexifie le système et laisse présager des différences non négligeables d’un habitat à l’autre en termes de degré d’exposition aux CEM.

Rappelons que le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), agence de l’OMS, a classé les CEM comme « peut-être cancérogènes pour l’homme » en 2002 pour les extrêmement basses fréquences, et en 2011 pour les radiofréquences.

Dans ce contexte, la Direction Générale de la Santé (DGS) a chargé l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES)  de conduire une expertise relative à l’évaluation de l’exposition de la population aux CEM émis par les compteurs communicants et des effets sanitaires potentiels associés.

Quelles sont les conclusions du rapport d’expertise de l’ANSES

L’ANSES a publié en décembre 2016 un rapport concluant à un risque sanitaire peu probable :  «  les conclusions de l’agence, vont dans le sens d’une très faible probabilité que l’exposition aux champs électromagnétiques émis, aussi bien pour les compteurs radioélectriques communicants que pour les autres (CPL), puisse engendrer des effets sanitaires à court ou à long terme », précisant même « qu’il n’y a pas de tentative d’investigation utilisant une approche épidémiologique robuste » et qu’à sa connaissance « aucune étude de provocation n’a été menée sur des expositions aux compteurs et/ou fréquences utilisées pour les compteurs d’électricité ». Plus préoccupant, les experts de l’ANSES confirment leurs recommandations de 2009, qui stipulaient qu’en l’absence de données suffisantes et eu égard à l’accroissement de l’exposition dans la bande 9KHz-10MHz où se situe le Linky, il faudrait « entreprendre de nouvelles études, et ceci particulièrement pour les expositions chroniques de faibles puissances permettant de confirmer la bonne adéquation des valeurs limites ».

Néanmoins, face au manque d’information disponible concernant les modes de communication des compteurs Linky, l’Agence avait sollicité le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) afin qu’il réalise une campagne de mesures permettant de compléter les informations sur l’exposition de la population aux CEM émis par les communications CPL des compteurs Linky.

Les données obtenues[1] mettent en évidence un nombre de communications CPL dans les logements plus élevé que celui initialement anticipé sur la base des informations fournies par l’opérateur, entraînant une durée d’exposition plus longue que prévue au domicile (le CSTB a pu mesurer dans un logement équipé d’un Linky G1, une moyenne de 4 à 6 trames d’une durée de 140 millisecondes chacune, par minute dans la journée, et une augmentation significative du nombre et de la durée des trames à certaines périodes de la nuit), sans pour autant que les niveaux de champ électromagnétique soient plus élevés. De plus, l’étude du CSTB confirme que même les personnes n’ayant pas de compteur Linky reçoivent les rayonnements du CPL générés par les Linky et concentrateurs du voisinage proche.

Le CRIIREM (Centre de Recherche et d’Information Indépendant sur les Rayonnements Électromagnétiques) dénonce le fait que, malgré les mesures faites par l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR), l’ANSES et dernièrement le CSTB, de nombreux paramètres du dispositif Linky n’ont pas été mesurés (G3, ERL, concentrateur). Aujourd’hui on ne dispose d’aucune mesure sûre qui permette d’évaluer le niveau d’exposition que subira une personne, selon les situations où elle se trouve : habitat individuel avec compteur dans ou hors du logement, appartement à proximité du local technique où se trouvent tous les compteurs.

Suite au rapport du CSTB qui repose sur des mesures faites dans les logements avec le Linky G1, l’ANSES, dans son rapport révisé de juin 2017[2], laisse entrevoir certaines précautions à prendre. En effet, le comité d’experts spécialisés (CES) recommande d’étudier la possibilité d’installer des filtres, pour les personnes qui le souhaiteraient, permettant d’éviter la propagation des signaux CPL à l’intérieur des logements. Le CES recommande également « de poursuivre l’étude des effets sanitaires potentiels des expositions aux CEM dans la gamme de fréquences aux alentours du kilohertz », « de caractériser, sur le terrain, la gêne perçue suite à l’installation des compteurs communicants ».

[1] Évaluation de l’exposition de la population aux CEM émis dans les logements par les compteurs communicants d’électricité Linky. Rapport final du CSTB https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2015SA0210Ra-Anx1.pdf

[2] https://www.anses.fr/en/system/files/AP2015SA0210Ra.pdf

Quels effets sanitaires

A ce propos, des témoignages relatant l’apparition de différents symptômes cliniques apparus après l’installation d’un compteur Linky sont régulièrement recueillis sur le site http://www.priartem.fr, le site http://www.temoignage-linky-france.fr/ et/ou par mail (temoignage.linky.france@laposte.net).

De nombreuses personnes se plaignent de troubles du sommeil avec des réveils nocturnes et la perte d’un sommeil réparateur, des acouphènes, des céphalées, des paresthésies, des arythmies cardiaques, une perte de la concentration, des crises d’angoisse, etc. Ces symptômes signent pour certaines équipes médicales (Pr Belpomme en France) l’apparition d’une intolérance aux CEM voire une électro-hypersensibilité qui peut conduire vers une perte de vie sociale dramatique afin de se protéger des ondes EM. Ces plaintes sont similaires à celles décrites aux Etats Unis, au Canada ou encore en Finlande, pays où les procès ne cessent d’augmenter. Certains Etats comme la Californie, Québec, rendent possible une option de retrait et l’usage d’un compteur mécanique pour ceux qui le souhaitent (moyennant des frais d’installation et de relève chaque mois). En France, le Tribunal de Grande Instance de Grenoble a condamné en novembre 2016 le bailleur OPAC 38 à désinstaller son compteur d’eau avec émetteur radio-fréquences 864 MHz  car sa pose avait aggravé l’état de santé de la personne plaignante électro-hypersensible. Le tribunal a retenu non pas le risque mais l’atteinte à la santé, et a étendu explicitement sa décision à tous les compteurs avec émetteur radio-fréquences, système de comptage connecté Linky inclus[3].

De la même manière qu’en Amérique du Nord, une controverse s’installe progressivement en France. Elle se structure notamment autour de la question sanitaire, et englobe de façon plus générale la controverse sur les ondes électromagnétiques. Mais cette inquiétude n’est-elle pas légitime à la lecture d’un nombre de plus en plus important d’études scientifiques qui démontrent les effets biologiques des expositions aux CEM ?

Citons par exemple le rapport BioInitiative[4], qui rassemble 1800 études validées, et qui présente les effets biologiques liés à une exposition chronique aux CEM à des fréquences variables : « Les effets biologiques sont clairement établis et apparaissent à de très faibles niveaux d’exposition aux CEM. Les effets biologiques peuvent apparaître dans les premières minutes d’exposition à des niveaux associés à l’usage du téléphone mobile ou du téléphone sans fil. Les effets biologiques peuvent aussi apparaître juste quelques minutes après exposition aux rayonnements des stations de base, au WiFi et à tous les compteurs « intelligents » sans fil qui induisent une exposition du corps entier ». En cas d’exposition prolongée et/ou répétitive, les effets biologiques peuvent raisonnablement être suspectés d’entraîner des effets sanitaires. L’apparition de ces pathologies est liée à un stress oxydatif, une perméabilité accrue de la barrière hémato encéphalique, des changements dans l’activité des ondes cérébrales et du rythme cardiaque, la libération déséquilibrée de neurotransmetteurs et d’hormones, des troubles du système immunitaire.

Aujourd’hui, les appels de scientifiques se multiplient pour alerter les gouvernements sur l’effet délétère de l’exposition croissante de la population aux CEM. De nouvelles technologies utilisant les CEM se multiplient chaque jour avec malheureusement des études d’impact sur la santé qui prennent du temps et qui ne permettent pas d’anticiper les mesures à prendre en terme de santé publique. De plus, les normes actuelles qui reposent sur les effets thermiques des CEM datent de 1999. Elles sont obsolètes car elles ne tiennent pas compte des effets biologiques reconnus aujourd’hui par de nombreux scientifiques. Le poids des lobbys industriels a jusqu’à ce jour permis le maintien de normes très élevées basées sur les effets thermiques (normes fixées par l’ICNIRP en 1999). Mais l’opiniâtreté de certains scientifiques vient de permettre la mise en place d’un groupe de travail validé par l’OMS en mars 2017,  créé au sein de l’ECERI (European Cancer and Environment Research Institute) pour faire reconnaître définitivement les effets non thermiques des CEM.

D’autres actions de sensibilisation voient le jour comme l’appel des médecins allemands[5] du 21 novembre 2012 qui invite à agir et à déployer un certain nombre de stratégies de précaution comme « garantir l’inviolabilité des maisons en diminuant les niveaux d’exposition extérieurs qui pénètrent à travers les murs » ou encore « préférer les solutions filaires pour les utilisations domestiques ou dans les services publics ».

[3] Action en justice contre l’installation d’un compteur communicant pour l’eau https://www.sera.asso.fr

[4] Rapport BioInitiative révisé en 2012 http://www.priartem.fr/Conclusions-du-rapport.html

[5] Pollutions électromagnétiques / Appels des médecins. Publié le 2 août 2017 par Résistance verte http://resistance-verte.over-blog.com/2017/08/pollutions-electromagnetiques/appels-des-medecins.html

Conclusion

Chaque jour en France, plus de 20 000 compteurs Linky sont installés mais le déploiement complet de cette nouvelle technologie sera progressif (utilisation de l’ERL). Les effets sanitaires ne seront donc pas immédiats. Par ailleurs, l’Académie Européenne de Médecine Environnementale a publié ses recommandations dans la gamme VLF (3KHz-3MHz) et pour des périodes prolongées : les valeurs recommandées sont nettement en deçà des valeurs mesurées sur les différents Linky testés en laboratoire ou in situ.

Alors, ne faut-il pas agir de suite en demandant un moratoire pour suspendre ces installations en attendant une étude sanitaire sérieuse ?

Les personnes vulnérables face aux CEM sont les femmes enceintes, les enfants, les personnes électro-hypersensibles et celles porteuses d’une pathologie chronique. L’ANSES, dans son avis révisé de juin 2017 sur l’exposition de la population aux CEM émis par les compteurs communicants, écrit « pour les bandes 2,4 Ghz ou 868 MHz envisagées pour l’ERL, l’exposition devrait être comparable à celle d’une borne Wifi ». Comment la France peut-elle voter la loi[6] dite « Abeille » interdisant l’utilisation du Wifi dans les lieux d’accueil d’enfants de moins de 3 ans et accepter l’installation de Linky G3 dans tous les foyers, crèches, écoles et hôpitaux ? D’autant plus que l’exposition ne peut être interrompue à l’inverse des box Wifi, du téléphone portable, qui peuvent être notamment coupés la nuit.

Dans une résolution de 2011, le Conseil européen a appelé les membres à abandonner les politiques de communication sans fil, et à appliquer le principe ALARA dans sa Résolution 1815 :

« Concernant les normes ou les seuils relatifs aux émissions des champs électromagnétiques de tout type et de toute fréquence, l’Assemblée préconise l’application du principe «ALARA» (as low as reasonably achievable), c’est-à-dire du niveau le plus faible raisonnablement possible, prenant en compte non seulement les effets dit thermiques, mais aussi les effets athermiques ou biologiques des émissions ou rayonnements de champs électromagnétiques. De plus, le principe de précaution devrait s’appliquer lorsque l’évaluation scientifique ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment de certitude. D’autant que, compte tenu de l’exposition croissante des populations – notamment des groupes les plus vulnérables comme les jeunes et les enfants –, le coût économique et humain de l’inaction pourrait être très élevé si les avertissements précoces sont négligés ».

Pour la protection des futures générations, l’ASEF s’inscrit et soutient cette démarche européenne.

[6] Loi n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030212642&categorieLien=id

A jeudi prochain et d’ici là portez-vous bien !

Cathy FAITG, sage-femme et Richard FAITG, anesthésiste, membres de l’ASEF