29 octobre 2021

La menace environnementale la plus importante pour le système cardiovasculaire - Dr Thomas Bourdrel

Cette revue de Bae et al. dans ce numéro de Trends in Cardiovascular Medecine commence avec ce constat : « la pollution de l’air est considérée comme la menace environnementale la plus importante pour la santé publique ». Les maladies cérébrovasculaires et les cardiopathies ischémiques représentent la majorité des décès liés à la pollution atmosphérique [1]. Parmi les nombreux polluants atmosphériques, les auteurs soulignent que le polluant le plus toxique pour le système cardiovasculaire est la matière particulaire (PM), en particulier les particules fines (PM 2.5 : diamètre ≤ 2,5 m) et particules ultrafines (PUF: diamètre ≤ 0,1 m).

Les principaux mécanismes impliqués dans les dommages causés au système cardiovasculaire par les polluants atmosphériques sont l’inflammation et le stress oxydatif pouvant conduire à un dysfonctionnement endothélial, une athérothrombose et un dysfonctionnement du système nerveux autonome (sympathique et parasympathique) [2]. L’intérêt de la revue Bae et al. est de détailler les bases moléculaires et cellulaires pouvant expliquer les dysfonctionnements cardiovasculaires induits par l’exposition aux particules fines . L’autre point important souligné par cette étude est le stress oxydatif du rétinaculum endoplasmique induit par les PM2,5 qui exacerbe l’autophagie et l’apoptose et conduit finalement à des troubles cardiaques telles que la fibrose cardiaque. Cette revue met en évidence le rôle critique de l’autophagie qui a des avantages fonctionnels, tels que l’élimination des composants cellulaires endommagés grâce au processus de dégradation lysosomiale qui contribue à l’homéostasie cellulaire. Cependant, les auteurs soulignent que l’exposition aux PM2,5 entraîne une autophagie excessive, qui induit un dysfonctionnement endothélial, l’apoptose, et des lésions tissulaires.

Un autre aspect intéressant de cette revue est de souligner l’importance de la composition et de la taille des particules qui détermineront leur toxicité. Une fois émis dans l’atmosphère, les PM de composition différente provenant de différentes sources vont s’agglomérer – fusionner pour former des « PM mixtes » composées de différents éléments. Cependant, à proximité de leur source d’émissions, les particules auront une composition spécifique. Ainsi, les personnes vivant à proximité de grands axes routiers par exemple des villes ne respirent pas le même type de particules que les habitants des zones rurales. Bien que les auteurs déclarent que « tous les composés entrant dans la composition des PM ont un effet sur le stress oxydatif », il est actuellement admis que les particules provenant de sources de combustion – c’est-à-dire émis par exemple par le diesel ou la combustion du bois – ont les effets les plus néfastes sur le système cardiovasculaire [2–4]. Dans les zones résidentielles, ces particules proviennent principalement de la circulation et du chauffage au bois, mais comme mentionné par Bae et al., les feux de forêt « ont été une source de plus en plus importante de PM2,5 dans les régions moins urbanisées, par exemple pendant l’été dans l’Ouest des États-Unis et en Australie ». Selon des études épidémiologiques, les particules de combustion – qui sont mesurables dans l’air via la concentration de black carbon – peuvent être 5 fois plus toxiques que les particules inorganiques [3,4]. Schématiquement, les particules de combustion sont constituées d’un noyau central de carbone (carbone élémentaire (EC) ou black carbon (BC)) et sont recouvertes de composés de surface comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les métaux, les sulfates. Des études expérimentales ont démontré que la principale toxicité cardiovasculaire des particules de combustion provient des HAP [5]. Comme beaucoup d’HAP sont également des agents cancérigènes et des perturbateurs endocriniens, les particules issues de la combustion sont impliquées dans de nombreux effets délétères de la pollution de l’air tels que les cancers ou les effets in utero [6,7]. Des avancées majeures ont été faites dans l’évaluation de l’exposition individuelle aux particules fines et ultrafines telles que la détection et la quantification de concentrations de black carbon dans l’urine ou des bracelets permettant de mesurer l’exposition aux ‘HAP [8,9]. Ces études ont démontré que les niveaux urinaires de black carbon varient considérablement d’une rue à une autre, en fonction de la distance d’une route principale [8].

Comme cité dans cette revue par Bae et al., en plus des HAP, d’autres composés peuvent avoir des effets toxiques liés à une augmentation du stress oxydatif tels que les métaux que l’on retrouve par exemple dans les particules liées aux émissions de freinage [10]. Alors que la toxicité des particules de combustion est maintenant bien documentée, le défi de la recherche future sera de déterminer la toxicité des particules inorganiques telles que les particules composées de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium – émises par le secteur agricole lors des épandages d’engrais azotés – ainsi que les particules de poussière émises lors des tempêtes de sable, composées essentiellement d’éléments minéraux tels que la silice, le carbonate de calcium et les oxydes de fer. S’intéresser à la toxicité de ces particules est un sujet pertinent car l’agriculture est la principale source de PM2,5 en Europe. Les épisodes de tempête de sable qui sont déjà courants en Afrique et en Asie augmenteront probablement dans les prochaines années aux États-Unis ou en Europe [4].

Les auteurs de Stanford soulignent également que les défis de la recherche seront de parvenir à évaluer la toxicité du cocktail de polluants que nous respirons chaque jour qui est composé de PM de composition différente et de plusieurs polluants gazeux. Une des difficultés de traiter correctement cette question vient de la distinction entre les PM et polluant gazeux, qui n’est pas toujours évident. En effet, certains polluants gazeux toxiques tels que les composés organiques volatils (COV) ou dioxyde d’azote (NO2) – un polluant principalement émis par les voitures diesel – conduiront également à la formation de particules et d’ozone via des réactions photochimiques atmosphériques complexes.

Dans cette revue, les auteurs mentionnent également que la toxicité des particules dépend de leur taille. Les PM2,5 et surtout les PUF atteignent la partie distale des alvéoles pulmonaires et peuvent passer dans la circulation sanguine. La toxicité des PUF résulte également de leur plus grande surface. Paradoxalement, alors que les PUF représentent plus de 90 % des PM émises par le trafic routier et ont une toxicité bien établie, les PUF ne sont toujours pas surveillées dans l’air ambiant malgré plusieurs alertes d’experts qui ont demandé aux décideurs des normes appropriées pour les mesures de PUF [2,11,12]. En effet, même si « les PM 0.1 agglomérées sont une source majeure de PM2.5 », la concentration en PM2,5 est peu représentative du nombre de particules ultrafines. En conséquence, les PUF restent sous-estimées dans la concentration de PM2,5 et une mesure adéquate des PUF nécessitent le comptage de particules via des compteurs de particules. Ce problème est bien illustré par une étude récente qui a rapporté des niveaux très élevés de PUF à proximité d’une route principale en zone urbaine malgré des niveaux relativement bas de PM2,5 [13].

Un autre intérêt majeur des travaux de Stanford est de détailler les différentes études expérimentales in vivo et in vitro, ce qui facilitera la recherche future. On pourrait aussi ajouter aux nombreuses interfaces in vitro détaillées dans cette revue d’autres avancées, telles que le « Lung 3D » un modèle alvéolaire in vitro, qui recrée artificiellement la barrière air-sang pulmonaire[14]. Une autre plate-forme expérimentale intéressante constituée d’un concentrateur de particules et d’une chambre environnementale a été développée par Groulx et al. pour étudier les particules et les interactions virales. Les premiers résultats ont montré que les PM peuvent modifier le degré d’infectiosité du virus en fonction du type de virus mais aussi de la composition des PM [15]. La pandémie de COVID-19 a soulevé de nombreuses questions sur l’interaction entre les agents infectieux et l’environnement. En particulier, l’article de Stanford nous rappelle que les PM peuvent être un facteur aggravant de la myocardite virale et une autre étude a rapporté que 15% des décès dans le monde dus au COVID-19 pourraient être attribués à une exposition à long terme à la pollution de l’air [16,17]. De plus, comme noté par les auteurs de Stanford, l’exposition aux PM conduit à une augmentation du niveau de l’angiotensine II via l’activation de l’axe ACE/ANGII/AT1R. Les formes sévères de COVID-19, comme le syndrome de détresse respiratoire aigue (SDRA), ont été associés à un déséquilibre ACE2/AT1R. De plus, le SARS-CoV-2 utilise le récepteur ACE2 pour entrer dans les cellules, et ainsi, peut conduire à une augmentation de la biodisponibilité et de la toxicité de l’angiotensine 2 via son récepteur AT1R [16].

Enfin, grâce au détail des mécanismes impliqués dans la toxicité cardiovasculaire des polluants atmosphériques, l’article de Stanford permet d’orienter vers de futures stratégies thérapeutiques par exemple « en bloquant la signalisation du stress oxydatif du rétinaculum », mais les auteurs rappellent aussi l’importance de réduire l’exposition aux polluants en renforçant les politiques de santé publique. Ce qui est parfaitement en accord avec les dernières décisions de l’Organisation mondiale de la santé qui a considérablement renforcé ses normes pour les polluants atmosphériques [18]. Malheureusement, les nouvelles normes de l’OMS n’incluent toujours pas les PUF.

Traduit de l’anglais. Article original : Bourdrel T. Air Pollution: The most important environmental threat to the cardiovascular system. Trends Cardiovasc Med. 2021 Oct 19:S1050-1738(21)00120-1. doi: 10.1016/j.tcm.2021.10.005

Thomas Bourdrel, Médecin radiologue, chercheur associé au laboratoire ICube, Université de Strasbourg , fondateur de Strasbourg Respire, membre de l’ASEF

SOURCES 

[1] Lelieveld J, Klingmüller K, Pozzer A, Pöschl U, Fnais M, Daiber A, et al. Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Europe reassessed using novel hazard ratio functions. Eur Heart J 2019;40(20):1590–6 VolumeIssue21 MayPages. doi:10.1093/eurheartj/ehz135.
[2] Bourdrel T, Bind MA, Béjot Y, Morel O, Argacha JF. Cardiovascular effects of air pollution. Arch Cardiovasc Dis 2017;110(11):634–42 NovEpub 2017 Jul 21. PMID: 28735838; PMCID: PMC5963518. doi:10.1016/j.acvd.2017.05.003.
[3] Hoek G, Krishnan RM, Beelen R, Peters A, Ostro B, Brunekreef B, et al. Long-term air pollution exposure and cardiorespiratory mortality: a review. Environ Health 2013;12:43.
[4] Lelieveld J, Evans JS, Fnais M, Giannadaki D, Pozzer A. The contribution of outdoor air pollution sources to premature mortality on a global scale. Nature 2015;525:367–71.
[5] Mills NL, Miller MR, Lucking AJ, Beveridge J, Flint L, Boere JF, et al. Combustion-derived nanoparticulate induces the adverse vascular effects of diesel exhaust inhalation. Eur Heart J 2011;32:2660–71.
[6] Padula AM, Noth EM, Hammond SK, Lurmann FW, Yang W, Tager IB, et al. Exposure to airborne polycyclic aromatic hydrocarbons during pregnancy and risk of preterm birth. Environ Res 2014;135:221–6. doi:10.1016/j.envres.2014. 09.014.
[7] Peterson BS, Rauh VA, Bansal R, HaoX Toth Z, Nati G, et al. Effects of prenatal exposure to air pollutants (polycyclic aromatic hydrocarbons) on the development of brain white matter, cognition, and behavior in later childhood. JAMA Psychiatry 2015;72(6):531–40. doi:10.1001/jamapsychiatry.2015.57.
[8] Saenen ND, Bové H, Steuwe C, Roeffaers MBJ, Provost EB, Lefebvre W, et al. Children’s urinary environmental carbon load. a novel marker reflecting residential ambient air pollution exposure? Am J Respir Crit Care Med
2017;196(7):873–81 Oct 1. doi:
10.1164/rccm.201704-0797OC.
[9] Mendoza-Sanchez I, Uwak I, Myatt L, Van Cleve A, Pulczinski JC, Rychlik KA, et al. Maternal exposure to polycyclic aromatic hydrocarbons in South Texas, evaluation of silicone wristbands as personal passive samplers. J Expo Sci Environ Epidemiol 2021. doi:10.1038/s41370-021-00348.
[10] Daellenbach KR, Uzu G, Jiang J, Cassagnes LE, Leni Z, Vlachou A, et al. Sources of particulate-matter air pollution and its oxidative potential in Europe. Nature 2020;587:414–19. doi:10.1038/s41586-020-2902-8.
[11] Presto AA, Saha PK, Robinson AL. Past, present, and future of ultrafine particle exposures in North America. Atmos Environ 2021;10:100109 VolumeApril.
[12] Cassee F, Morawska L, Peters A, Wierzbicka A, Buonanno G, Cyrys J, et al. 2019, Nov. https://efca.net/files/WHITE%20PAPER-UFP%20evidence%20for%20policy%20makers%20(25%20OCT).pd.
[13] Chatain M, Alvarez R, Ustache A, Rivière E, Favez O, Pallares C. Simultaneous roadside and urban background measurements of submicron aerosol number concentration and size distribution (in the range 20–800nm), along with chemical composition in Strasbourg, France. Atmosphere 2021:71 12. doi:
10.3390/atmos12010071.
[14] Steiner S, Czerwinski J, Comte P, Popovicheva O, Kireeva E, Müller L, et al. Comparison of the toxicity of diesel exhaust produced by bio- and fossil diesel combustion in human lung cells in vitro. Atmos Environ 2013;81:380–8 VolumeDecemberPages. doi:10.1016/j.atmosenv.2013.08.059.
[15] Groulx N, Urch B, Duchaine C, Mubareka S, Scott JA. The pollution particulate concentrator (PoPCon): a platform to investigate the effects of particulate air pollutants on viral infectivity. Sci Total Environ 2018;628–629:1101–7. doi:10.1016/j.scitotenv.2018.02.118.
[16] Bourdrel T, Annesi-Maesano I, Alahmad B, Maesano CN, Bind MA. The impact of outdoor air pollution on COVID-19: a review of evidence from in vitro, animal, and human studies. Eur Respir Rev 2021;30:200242. doi:10.1183/ 16000617.0242-2020.
[17] Pozzer A, Dominici F, Haines A, Witt C, Münzel T, Lelieveld J. Regional and global contributions of air pollution to risk of death from COVID-19. Cardiovasc Res 2020;116(14):2247–53 VolumeIssue1 DecemberPages. doi:10.1093/
cvr/cvaa288.
[18] Burki T. WHO introduces ambitious new air quality guidelines. Lancet. 2021 Sep 25;398(10306):1117. doi:10.1016/S0140-6736(21)02126-7. PMID: 34563284.2