"L'EAU QUI PIQUE" ou comment la biodiversité peut nous protéger des moustiques- Episode 4

 

Gilles PIPIEN, Administrateur Humanité et Biodiversité

À l’occasion de la Journée mondiale des zones humides (2 février) dont le thème
pour l’année 2020 met à l’honneur la biodiversité, Gilles Pipien vous conte
l’histoire des humains et des moustiques à travers un récit palpitant et riche en
rebondissements. Plongez dans l’univers des zones humides, découvrez leurs
intérêts écologiques et que l’envie d’apprendre soit avec vous !

Episode 4: Les zones humides : un nouvel espoir

 

 

Prologue : L’Humain n’est pas tout blanc dans la dispersion et l’augmentation du nombre de moustiques. Son mode de vie a permis au Moustique de se répandre en ville et notamment dans les tunnels de métro. Là, il y a trouvé un garde-manger exceptionnel et des conditions idéales à sa reproduction. Ce nouvel environnement urbain lui a permis d’évoluer et d’envahir le monde, transmettant au passage bon nombre de maladies aux humains. Comment lutter durablement contre les moustiques ? Les zones humides pourraient être utiles…

 

Découvrir L’Eau qui Pique – Episode 3 : La revanche des moustiques

En fait, les zones humides en bon fonctionnement, en « santé » offrent trois voies pour limiter la présence ou l’efficacité des moustiques, et donc prévenir l’émergence de maladies dont sont porteurs ces vecteurs :

  • tout d’abord, (i) des concurrents, comme d’autres espèces de moustiques ne s’attaquant pas aux humains, d’autres insectes, des mollusques (petits escargots aquatiques), des têtards, certains zooplanctons, etc. ;
  • puis, (ii) des prédateurs tant des larves que des adultes, comme d’autres insectes (nos libellules ou les notonectes, ou abeilles d’eau, ou les corixidés, petites punaises aquatiques ), des poissons, des batraciens, des oiseaux, des chauve-souris, etc. Les moustiques sont, de fait, des maillons importants des chaînes alimentaires ;
  • Enfin, (iii), il y a des virus, que transmettent les moustiques, qui n’ont pas d’effet sur certaines espèces « non compétentes » : plus il y aura de telles espèces, plus il y a donc de biodiversité, plus cet effet dilution jouera et donc limitera la transmission des maladies.

Les chercheurs ont aussi constaté que les zones humides temporaires [12] sont beaucoup plus propices aux moustiques « agressifs » (en ce sens qu’ils ont de fortes capacités de dispersion, et sont ainsi susceptibles de rejoindre les zones urbanisées, et donc des humains à piquer) que les zones humides permanentes, à la fois plus riches en biodiversité, et moins favorables à des moustiques pondant à sec et dont les larves éclosent à la montée des eaux. C’est d’ailleurs ce qui a amené l’EID Méditerranée à ne traiter, dans le cadre de la limitation des nuisances, que ces zones à submersions temporaires, et à ne cibler que deux espèces, particulièrement mobiles et aptes, après avoir émergé dans ces secteurs, à rejoindre des territoires urbains et touristiques alentours : Aedes caspius et Aedes detritus. Ces deux espèces sont pionnières dans les zones humides temporaires et, donc, le traitement au Bti étant réalisé au tout début de leur cycle aquatique, il n’impacte pas directement les autres espèces aquatiques qui se développent plus tardivement. Toutes les autres espèces de moustiques des zones humides, en particulier celles des zones humides permanentes, ne font pas l’objet de traitements. La lutte contre ces espèces nuisantes de moustiques, dans le sud de la France, est donc une régulation, une limitation de la nuisance, et en aucun cas une tentative d’éradication.

Ces enseignements sont d’autant plus précieux, que l’on crée de plus en plus de zones humides artificielles, soit par agrément paysager, soit pour bénéficier de leur capacité de rétention d’eau (zones d’expansion de crues, bassins d’orage), etc. Il importe donc de bien comprendre comment gérer ces zones humides afin de bénéficier de ce qu’on peut appeler leurs services écosystémiques sanitaires. Or, plus ces zones humides permanentes sont complexes, plus leur niveau d’eau reste stable, plus elles sont riches en biodiversité, mieux elles jouent leur rôle de régulation des moustiques. Et toute perturbation, par exemple par pollution organique (amenant l’eutrophisation et la mort de nombreuses espèces), ou salinisation, va réduire aussi la biodiversité, favorisant le développement de nouvelles espèces de moustiques halophiles. Bien sûr, il faut poursuivre les recherches pour affiner les pratiques utiles à une bonne et saine gestion des zones humides.

Donc, quelques précautions [13] : (i) éviter systématiquement que les actions envisagées n’impactent irréversiblement la biodiversité ; (ii) comprendre les cycles des pathogènes ou des produits thérapeutiques dans les écosystèmes ; (iii) investir davantage dans les écosystèmes humains (comme notre microbiote : comment le rendre mieux résilient aux pathogènes ?) plutôt que dans la modification des écosystèmes naturels.

Remerciements à Mylène Weil, université de Montpellier, Marion Wittecoq, Tour du Valat et aux spécialistes EID Méditerranée et Jean-Michel Berenger

Ochlerotatus detritus ©EID Méditerranée – Jean-Baptiste ferré

Sources

[12]  Zone humide dont le caractère « humide apparent » varie en fonction de la période de l’année.

[13]  Bien présentées et résumées par Bernard Chevassus-au-Louis, président d’Humanité et biodiversité, en clôture du colloque FRN/AFB à Paris, le 17 avril 2019 : « la biodiversité : une alliée dans la prévention de certaines maladies infectieuses ? » https://www.fondationbiodiversite.fr/evenement/la-biodiversite-une-alliee-dans-la-prevention-decertaines-maladies-infectieuses/