Le débrief de l'ASEF du 31 mai 2018

Bonjour,

Faisons tout d’abord un tour de nos dernières activités. Dans le cadre de notre partenariat avec Rainett, nous nous sommes rendus à Paris jeudi dernier pour inaugurer avec eux la toute nouvelle gamme de produits d’entretien Zéro%, sans parfums, colorants et conservateurs. Initiative que nous saluons !

La gamme zéro% de Rainett

Aujourd’hui, le Dr Jospelage, Présidente de l’AMSES (Association Santé Environnement Martinique), nous fait un focus sur le Chlordécone, pesticide responsable de nombreuses pathologies chez les Martiniquais, entre autres.

Le focus du Dr Jospelage : « Chlordécone : une grave crise sanitaire en Martinique »

La Martinique connaît actuellement une crise sanitaire préoccupante liée à la contamination d’environ la moitié de la sole agricole, par un des toxiques les plus dangereux selon la Conférence de Stockholm [1]. Il s’agit du Chlordécone (CL10, C10, O). Pesticide organochloré, classé comme Polluant Organique Persistant, potentiellement cancérigène, mutagène et reprotoxique, il est reconnu comme Perturbateur Endocrinien depuis 1991.

Le Chlordécone a été utilisé en martinique entre 1973 et 2000 de manière intensive, pour lutter contre un parasite de la banane (le charançon) et ce, malgré les nombreuses études sur sa dangerosité publiées dès 1976 par les Américains. Aujourd’hui la dernière enquête réalisée par l’ARS (Agence Régionale de Santé) entre 2014 et 2016 et publiée fin 2017 fait état d’une imprégnation sanguine de 92% de la population Martiniquaise avec des taux variables de quelques centièmes de microgrammes à plus de 15 microgrammes.

La Guadeloupe est également touchée, et peut-être d’autres régions du monde, car seulement 10% de la totalité du Chlordécone produite aux Etats-Unis a été répandue aux Antilles ; les autres 90% ont été utilisés dans le monde entier dans des cultures diverses. Et aujourd’hui à la faveur des mouvements océaniques, ce sont les Inuits d’Alaska qui ont récupéré cette pollution sans jamais avoir utilisé ce pesticide.

Une pollution mondiale s’est donc cristallisée autour des petites Antilles Françaises du fait de leur exiguïté et de leur insularité. Cela peut être aussi dû à la qualité de leur sol volcanique, composé de Nitisol et d’Andosol retenant tout particulièrement cette molécule chimique complexe en forme de cage. Son élimination prendra plusieurs siècles.

Bien que l’utilisation du Chlordécone ait été interdite totalement depuis 1993 et que ses conséquences sanitaires n’aient cessé d’être dénoncées, une grave crise sociale n’a explosé en Martinique qu’en fin 2017 début 2018, alimentée par le sentiment d’une prise en charge largement insuffisante, compte tenu du préjudice sanitaire lié à cette intoxication.

L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES), interpellée devant une augmentation récente des taux dits « admissibles de Chlordécone » dans les aliments carnés, a déclaré le 15 décembre 2017 que ces taux de Chlordécone n’étaient pas de nature à mettre en danger la santé des Martiniquais. Propos repris en grande partie par la Ministre de la Santé suite à l’intervention des Parlementaires.

Les martiniquais ont eu le sentiment d’avoir été sciemment « empoisonnés » et c’est ce bruit de fond qui court dans la population et alimente inquiétude, révolte et manifestations.

On ne s’étendra pas sur le préjudice économique de plus en plus perceptible pour certaines professions comme les pêcheurs, à cause de la contamination induite des milieux halieutiques. Des zones entières du Sud Atlantique sont interdites à la pêche, sans indemnisation des pêcheurs, créant un chômage technique sec. C’est surtout le préjudice sanitaire grave qui a mis le feu aux poudres devant la prise de conscience de l’inadéquation des réponses sanitaires face à l’ampleur de l’impact sur la santé.

Toutes les familles Martiniquaises connaissent dans leur cercle rapproché un ou plusieurs cas de cancer de la prostate (518 nouveaux cas chaque année pour une population de 400.000 habitants dont moins de 200.000 hommes en âge de procréer ; une incidence standardisée de 225 pour 100.000 hommes par an, plaçant Martinique et Guadeloupe aux premiers rangs dans le monde). Chaque année meurent 120 à 130 hommes du fait des cancers de la prostate ; lesquels atteignent une population masculine de plus en plus jeune (dès la quarantaine). Même si la mortalité est de mieux en mieux contrôlée, elle demeure supérieure à celle des autres pays (20 à 25%). Et la morbidité post thérapeutique est encore importante (infertilité et impuissance). Une prévalence des  myélomes quatre fois plus importante qu’il y a 20 ans dont le lien avec ce pesticide organochloré est hautement probable.

L’incidence du diabète est multiplié par deux par rapport à la population hexagonale. L’obésité touche plus de la moitié de la population adulte et 22% de la population infantile. Plusieurs études ont établi le lien entre obésité, diabète, et Chlordécone. Ce qui ne surprend pas puisqu’il s’agit d’un Perturbateur Endocrinien dont on sait qu’il est souvent perturbateur métabolique.

Le Chlordécone est connu comme reprotoxique depuis 1975 [2], mais pourtant rien n’est fait en Martinique pour éviter les fausses couches et la prématurité qui touche de 9,5% des naissances depuis plus de 20 ans malgré les efforts de suivi des grossesses. Et parmi ces prématurés, 10% de prématurissime de moins de 28 semaines et moins de 1000 grammes. On sait que cette prématurité est liée à la perturbation hormonale oestrogénomimétique et antiprogestérone. La seule proposition faite par l’Agence Régionale de Santé a été de réduire l’exposition des femmes enceintes en leur conseillant de s’alimenter dans des circuits contrôlés (qui offrent des produits contaminés  mais dits « conformes »).

La neurotoxicité du Chlordécone en fait un produit redoutable chez la femme enceinte et l’enfant en bas âge dont la prise en charge est jugée insuffisante aujourd’hui (autisme, dyslexie, dyspraxie, retards mentaux). Une étude épidémiologique déployée en Guadeloupe par l’INSERM entre 2005 et 2018 touchant une cohorte d’une centaine de mères et d’enfants, l’étude « TIMOUN »  a montré un lien entre le taux de Chlordécone au cordon des nouveaux nés et l’augmentation de la TSH (thyréostimuline) à l’âge de 3 mois [3]. Cette augmentation est associée à une baisse de la T3 (hormone tri-iodothyronine). Cette thyréotoxicité du Chlordécone expliquerait en partie sa neurotoxicité. Pourtant aucune mesure n’a été prise en 10 ans voire plus, alors qu’un traitement par apport iodé et hormonal est disponible.

Le Chlordécone a été traité comme un polluant ordinaire (non perturbateur endocrinien) auquel ont été attribués : une Valeur Toxicologique de Référence (VTR) et des Limites Maximales de Résidus (LMR) y compris pendant la grossesse, dont on connaît les incidences majorées[4].

Bien que l’Anses ait évalué le Facteur Environnement Risque (FER) du Chlordécone pour quelques pathologies, qu’elle a publié dans son Bulletin de veille scientifique d’octobre 2017, les décisions qui ont suivi sont loin d’être à hauteur des enjeux [5].

Un petit exemple : un FER pour le cancer de la prostate est significatif dès une concentration de 0,019µg/l pour un homme de 44 ans (soit la population toute entière). Aucun dépistage précoce ni même une surveillance de la population n’est conseillé. Un risque de prématurité augmentant dès lors que le taux dépasse chez la femme enceinte 0,52µg /l Enfin un risque de baisse du QI  de -0,3 points à chaque microgramme de Chlordécone au cordon.

L’AMSES a été reçue par le Préfet et a fait connaître ses préoccupations et ses propositions notamment sur la nécessité impérative de permettre à la population de se désintoxiquer dans les meilleurs délais pour réduire les risques surtout pour les populations les plus exposées. Pour ce faire il faut un sevrage total qui n’est pas possible sans une traçabilité des produits offerts à la consommation via une filière identifiée labellisée. L’idée a semblé faire son chemin mais la proposition officielle émanant de la Préfecture et du Parc Naturel Régional ne semble pas s’orienter vers ce sevrage total car elle envisage l’utilisation de terres peu imprégnées et non totalement exemptes de Chlordécone.

L’AMSES a demandé qu’un laboratoire de toxicologie soit mis en place en Martinique afin d’évaluer le statut Chlordécone de toute personne intéressée et d’assurer un suivi médical adéquat. Cette proposition capitale n’a pas encore obtenu l’accord des autorités sanitaires.

Une consultation de médecine environnementale a vu le jour en 2017 dans le Centre hospitalier du Saint Esprit dans le Sud de l’île, qui a entre autre objectif de mettre en place une consultation préconceptionnelle pour les adolescentes de plus de 15 ans (désintoxication, traitement des déséquilibres hormonaux thyroïdiens et oestroprogestatifs  avant une grossesse) [6].

Enfin, l’AMSES a suscité la création d’un « Comité médical Chlordécone »  avec des hospitaliers sous l’égide du Conseil de l’Ordre, pour évaluer l’incidence réelle de la contamination par le Chlordécone sur la population dans un « Observatoire Chlordécone «  et faire des propositions de recherche et de prise en charge [7] .

La crise n’en est qu’à ses débuts ; le plus difficile est à venir mais le corps médical semble vouloir s’impliquer de plus en plus et entraîner les autorités sanitaires, plus réceptives aujourd’hui qu’en 2007.

Sources

[1] Convention de Stockholm sur les 9 nouveaux P.O.P.

[2] Chronologie du Chlordécone aux Antilles – Page 23 – INRA

[3] Le Plan Chlordécone – Agence Régionale de Santé, Martinique

[4] Exposition des consommateurs des Antilles au chlordécone, résultats de l’étude Kannari

[5] Le Bulletin de Veille Scientifique de l’ANSES – Octobre 2017

[6] Service de consultation dédié au traitement des maladies environnementales – Martinique, 2017

[7] AMSES – Deuxième congrès de médecine environnementale

Après ce focus du Dr Jospelage sur le Chlordécone et sur ses méfaits sur la santé, retour maintenant à l’ASEF, avec un petit point agenda. Le 29 mai, un de nos membres les plus actifs, le Dr Jean Lefèvre, s’est rendu au Petit Arbois, non loin de nos bureaux d’Aix en provence, pour assister à une réunion organisée par le Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions Industrielles (SPPPI). A cette occasion, il a exposé, parmi d’autres confrères, ses attentes et recommandations pour la proposition de projet portant sur la santé environnementale à l’Étang de Berre (le sujet : « Engagement Etang de B’Air 2018-2023 : les acteurs du territoire s’engagent à apporter des réponses et/ou des solutions aux préoccupations citoyennes »).

Les prochaines semaines seront chargées puisque le 08 juin, notre Directrice, Ludivine Ferrer, se rendra à la maternité de l’Etoile avec Valentine Dumas, stagiaire en communication, pour tenir un stand afin de rencontrer les futurs parents et leur distribuer les petits guides santé !

D’ici-là, portez-vous bien !

Le club des 11 de l’ASEF