15 juin 2017

Mercure : peut-on encore manger du poisson - la synthèse de l'ASEF

Le poisson fait partie des aliments les plus sains, selon la FAO (organisation des nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). Il permet en effet d’apporter de nombreux micronutriments essentiels, est une excellente source de protéines et d’acides gras insaturés ; grâce à ces atouts, la consommation de poisson diminue le risque de maladie coronarienne et améliore la santé cardiovasculaire. Il existe également un lien entre la consommation de poisson et le développement cognitif.

Cependant, la consommation de poisson ne serait pas totalement exempte de risques. La substance principalement en cause : le mercure absorbé par de nombreux poissons et donc se retrouvant dans notre assiette. Alors, quels sont les risques de la consommation de poissons, quels effets sur la santé a le mercure et comment adapter son alimentation ? L’ASEF fait le point.

Le mercure (symbole Hg du latin hydrargyrum) est un métal argenté brillant, le seul se présentant sous forme liquide dans les conditions normales de température et de pression. Il était autrefois connu sous le nom de vif-argent. On peut le trouver sous forme native, ionique ou de composés à l’état oxydé.

Présence dans l’environnement

Le mercure est un élément assez rare ; néanmoins, il est naturellement présent dans l’environnement, essentiellement dans les roches du sous-sol. Certains affleurements en contiennent des quantités importantes, et ont pu être utilisés comme mines de mercure. Les principales sources naturelles d’émission sont les volcans, le dégazage progressif de la croûte terrestre, et certains geysers.

Les émissions anthropiques ont fortement augmenté depuis la révolution industrielle, et varient largement selon les régions. En mer, il s’agit de rejets industriels ou de la corrosion de munitions immergées. En Amérique du Sud, l’orpaillage est une des sources principales. Aux Etats-Unis, le mercure est l’une des principales sources de pollution de la pluie et provient des émissions de centrales au charbon et de la combustion du pétrole et du gaz. En Chine, le mercure provient de la production de métaux, de la combustion de charbon et des industries.

Environ 3500 tonnes de mercure seraient émises annuellement dans l’atmosphère, dont 50 à 75% via l’industrie du charbon. En comparaison, autour de 2000 tonnes seraient issues du volcanisme, des geysers, de l’évaporation naturelle et de la recirculation. Il existe également des émissions dues à l’orpaillage mais très difficile à quantifier du fait de la clandestinité.

Le mercure semble poser un problème environnemental global, et sa concentration moyenne augmente dans l’environnement, notamment dans les milieux aquatiques. Sa répartition est très inégale ; aux USA et au Canada, le taux de mercure augmente d’Est en Ouest. Il existe également des « pluies de mercure » en Arctique, un phénomène d’oxydation du mercure atmosphérique qui se dépose ensuite à la surface de la planète.

Principales utilisations du mercure

Les utilisations du mercure sont diverses :

  • En médecine : il a été longtemps utilisé comme antiseptique (mercurochrome) ; depuis 2006, ce produit n’est plus commercialisé en France et aux Etats-Unis. Il entre également dans la composition des amalgames dentaires (45-50% de la composition). Précédemment, il a également été utilisé comme fluide dans les thermomètres du fait de sa capacité à se dilater avec la chaleur ; cet usage a été abandonné et les thermomètres à mercure sont aujourd’hui interdits. Cependant on le trouve encore parfois dans certains tensiomètres.
  • Fongicides et bactéricides : le thimerosal est utilisé comme conservateur, notamment dans certains vaccins
  • Certaines piles
  • Les lampes à vapeur de mercure
  • Orpaillage : le mercure est utilisé pour amalgamer l’or et pouvoir l’extraire plus facilement

Risques sanitaires

La pénétration du mercure dans l’organisme se fait par voie digestive, même si 95% du mercure absorbé est éliminé dans les selles. L’alimentation est une source importante d’exposition, ce qui est dû à la concentration du mercure dans la chaîne alimentaire, notamment les poissons prédateurs. On en trouve également de fortes concentrations dans les crustacés, les huîtres et les moules. En France, la dose moyenne d’ingestion du mercure est de 267µg/semaine pour une dose maximale de 200µg/semaine (recommandations de l’OMS).

L’alimentation est la principale source de contamination au mercure, très fortement liée à la consommation de gros poissons prédateurs. Il faut donc éviter de consommer trop souvent ces poissons (dorade, espadon, marlin, grenadier, bar, requin, thon) ; en effet un poisson contaminé peut contenir 23mg de mercure/kg de poids humide, soit près de 100 000 fois la concentration de mercure dans l’eau environnante. En 2003, l’OMS a adopté une dose hebdomadaire totale de 1,6µg/kg.

Les moules et les huîtres concentrent également le mercure.

Le mercure est considéré par l’OMS comme l’un des dix produits chimiques ou groupes de produits chimiques extrêmement préoccupants pour la santé publique.

Le mercure n’est pas un oligoélément. Il est toxique sous toutes ses formes organiques et pour tous ses états chimiques. Son utilisation est règlementée et plusieurs directives européennes en limitent l’usage. Néanmoins, la toxicité du mercure dépend de son oxydation.

Sous forme de vapeur, le mercure est toxique pour les voies respiratoires et se solubilise dans le sang ; il attaque ensuite les reins, le cerveau et le système nerveux. Chez la femme enceinte, il traverse la barrière placentaire pour atteindre le fœtus. Le lait maternel peut également être contaminé [8].

Sous forme dissoute (essentiellement le monométhylmercure HgCH3), le mercure est extrêmement neurotoxique, même à faible dose [9].

Encadré : la maladie de Minimata

Dans les années 1930, une usine pétrochimique installée dans la baie de Minamata, au Sud du Japon, rejette de nombreux résidus de métaux lourds dans la mer dont des composés à base de mercure.

20 ans plus tard, des symptômes apparaissent dans la population générale, surtout chez les pêcheurs, essentiellement liés au système nerveux et des enfants atteints de malformations congénitales parfois lourdes naissent. Dans les années 1950, des troubles graves du comportement sont relevés chez des populations de chats, principalement vivant dans la zone portuaire. Les poissons tenaient une part importante dans l’alimentation des humains et des animaux. En 1959, un médecin acquiert la certitude que ces troubles sont liés à la pollution par le mercure.

Néanmoins, les déversements de mercure ont continué jusqu’en 1966 ; entre 1932 et 1966, environ 400 tonnes de mercure furent rejetées dans la baie. A partir de 1977, les boues contaminées furent traitées et stockées.

Il a fallu attendre 1996 pour que l’Etat propose une indemnisation pour certaines victimes. En 2009, plus de 13 000 malades avaient été reconnus par l’entreprise industrielle et l’Etat, et près de 25 000 attendaient encore une décision. En 2012, le Japon a présenté des excuses publiques aux victimes et à leurs descendants.

A la suite de cette catastrophe, la convention de Minimata fut préparée à partir de 2009 par l’ONU dans le but de limiter les rejets humains de mercure dans l’environnement.

L’intoxication au mercure entraîne de nombreux symptômes. La toxicité affecte principalement les fonctions cérébrales, rénales, le système endocrinien et le cycle cellulaire. Certaines intoxications peuvent aussi affecter la vision et favoriser la survenue d’un glaucome. Selon le Center for Disease Control (CDC) aux Etats-Unis, une femme en âge de procréer sur douze a un taux de mercure dans le sang assez élevé pour mettre en danger le développement neurologique du fœtus. Plus de 320 000 bébés nés annuellement présentent ainsi des risques de malformations.

En outre, de nombreuses intoxications au mercure ont été liées à un traitement des semences au début du XXe siècle ; ce traitement est interdit depuis 1982 en Europe de l’Ouest.

Risques environnementaux

Toute la planète est concernée par la pollution au mercure ; même les zones polaires sont fortement imprégnées. Cette pollution est durable puisque le mercure n’est pas biodégradable et peut recontaminer plusieurs fois la chaîne alimentaire.

Les sources majoritaires de pollution environnementales sont :

  • Le raffinage et la combustion des combustibles fossiles (d’après l’EPA, la seule production pétrolière annuelle des Etats-Unis peut émettre jusqu’à 10 000 tonnes de mercure par an dans l’environnement).
  • Les activités minières, surtout l’orpaillage
  • Les incinérateurs
  • Les processus industriels
  • Le recyclage
  • Les séquelles industrielles

Le mercure est très toxique pour toutes les espèces vivantes connues. Il n’est pas éliminé par la pluie : le mercure très volatil pollue l’atmosphère, est lavé par la pluie et se retrouve dans les eaux superficielles et les sédiments. Il peut ensuite dégazer et polluer à nouveau l’air. Les sédiments recueillent la part du mercure qui n’a pas été ré-évaporée, et des bactéries peuvent y méthyler le mercure et le rendre très bioassimilable, contaminant ainsi la chaîne alimentaire. Dans les sols, ce sont notamment les champignons qui concentrent ce composé.

Le mercure est toxique pour toutes les espèces vivantes connues. Plusieurs études ont démontré de nombreux effets du mercure sur l’environnement :

  • Inhibition de la croissance des algues, des bactéries, des champignons
  • Mortalité aux stades d’embryon et de larve
  • Diminution de la capacité de reproduction (inhibition de la spermatogénèse, diminution des pontes…)

Encadré : un exemple de pollution en Norvège

Le 9 février 1975, un sous-marin allemand a été coulé près de l’île de Fedje ; il contenait notamment 65 tonnes de mercure réparties dans des flasques d’acier. Les bouteilles d’acier sont peu résistantes à l’eau de mer, et le mercure a ainsi été relâché progressivement dans les sédiments. L’épave a été découverte en 2003. Depuis, la pêche est interdite dans une zone de 30 000m2 ; la dépollution de l’épave n’est toujours pas mise en place.

L’exposition au mercure : le cas des poissons prédateurs

Il suffit de peu de mercure pour polluer de vastes étendues d’eau. Très volatil, il peut passer dans l’atmosphère et contaminer les eaux de pluie pour se retrouver dans la neige puis les lacs de montagne. Les sédiments recueillent le mercure non évaporé ou stocké dans le sol. Là, des bactéries peuvent le rendre particulièrement bioassimilable, notamment par les poissons, les crustacés et les plantes. Cela se traduit par une contamination de la chaîne alimentaire. En mer, les poissons piscivores et vivant longtemps sont les plus touchés ; ce sont notamment les espadons ou les thons. A l’âge adulte, ils sont presque systématiquement au-dessus des normes. Les principaux facteurs de risque semblent être l’habitat et le régime alimentaire.

En comparaison avec l’océan Pacifique, l’océan Antarctique et l’océan Atlantique Sud, c’est dans les eaux de l’Atlantique Nord que se retrouve la pollution au mercure. En effet, l’ampleur de la pollution anthropique au mercure dans les océans est estimée à 58 000 tonnes de mercure, dont près des deux tiers résident dans les mille premiers mètres de profondeur.

L’OMS recommande de ne pas consommer de poissons contenant plus de 0,5mg de mercure par kilogramme ; aux Etats-Unis, la norme est de 0,3mg/kg. Or, près d’Hawaii, le thon pêché entre 1998 et 2008 contenait en moyenne 0,34mg/kg de mercure, avec un rythme d’augmentation annuel d’environ 4%. Des taux de 1,87mg/kg ont même été relevés dans la chair de poissons d’étangs en Tanzanie, utilisés par des orpailleurs. Selon l’ANSES, la consommation de poissons ne présenterait pas de risque pour la santé dû au méthylmercure, l’apport étant inférieur à la dose journalière tolérable définie par l’OMS.

Quels poissons choisir

Les espèces les plus contaminées par le mercure sont le marlin, le requin, le thon rouge, le maquereau roi et l’espadon ; ils figurent parmi les poissons à éviter ou à ne consommer qu’occasionnellement. D’autres espèces sont moins touchées mais sont à consommer prudemment : il s’agit du thon albacore, du mérou, du grenadier et du merlu.

Le bar, la sardine ou l’anchois contiennent moins de mercure que les poissons cités précédemment. Néanmoins, il est recommandé de n’en consommer qu’une fois par semaine, soit un peu moins souvent que le hareng, la morue ou le maquereau tacheté qu’il est possible de consommer sans risque deux fois par semaine selon l’OMS.

Enfin, le saumon, la truite et l’aiglefin figurent parmi les espèces les moins contaminées. Les moules, palourdes ou pétoncles sont considérées sans risque. Par contre, le homard américain semble accumuler beaucoup de mercure, à ne consommer qu’une fois par mois.

Au final, en-dehors de tous ces poissons bioaccumulateurs qui sont à consommer très occasionnellement, il est conseillé de manger du poisson environ deux fois par semaine, dont un poisson gras. L’important étant de varier la provenance et les espèces.

Et chez la femme enceinte ?

Chez les femmes enceintes, les fœtus sont bien sûr les plus exposés. Le mercure semble avoir des effets notoires dans le développement cérébral et dans certaines fonctions hormonales. Lors d’une grossesse, il faut donc éviter les gros poissons prédateurs et se rabattre sur les poissons les moins contaminés par le mercure.

Et bien sûr ne pas oublier qu’on doit éviter les poissons crus pendant la grossesse à cause des parasites qui peuvent s’y trouver !

Quelques mots sur la règlementation

En 2013, 139 pays ont adopté à Genève la convention de Minimata (en référence à la tragédie). Un texte à l’initiative de la Suisse et de la Norvège vise en effet à encadrer l’usage, les rejets et le commerce du mercure. L’Union Européenne a interdit quasiment tout l’exportation de mercure en 2011.

Le 19 janvier 2013, plus de 130 pays ont ratifié la première convention internationale sur le mercure. L’objectif de cet accord est réduire leurs émissions de mercure d’ici à 2020. Le mercure sera ainsi interdit, d’ici à 2020, dans les thermomètres, instruments de mesure de la tension, batteries, interrupteurs, crèmes et lotions cosmétiques et certains types de lampes fluorescentes. Autre mesure phare : l’interdiction de l’extraction du mercure… mais elle ne sera effective qu’en 2025. Par ailleurs, les centrales à charbon et les industries qui rejettent beaucoup de mercure seront priées d’améliorer leurs performances. Des solutions sont également apportées concernant le stockage de la substance et le traitement des déchets.

Conclusion

En attendant une diminution de la pollution environnementale au mercure, surveillez votre exposition via l’alimentation et veillez à ne pas trop consommer de poissons prédateurs concentrant ce métal dans leur organisme.

Bibliographie

[1]        Ruggieri F, Majorani C, Domanico F, Alimonti A. Mercury in Children: Current State on Exposure through Human Biomonitoring Studies. Int J Environ Res Public Health 2017; 14.

[2]        Li Z, Dong T, Pröschel C, Noble M. Chemically diverse toxicants converge on Fyn and c-Cbl to disrupt precursor cell function. PLoS Biol 2007; 5:e35.

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