Notre conférence "résidus médicamenteux et médecine de ville", par Dr Jean Lefèvre

Le 21 juin 2017 a eu lieu à Aix-en-Provence une journée consacrée au cycle du développement durable et des rejets hospitaliers et médicaux, afin de travailler sur la réduction de l’impact potentiel des effluents médicamenteux.

Cette journée a été organisée à l’initiative du SPPPI PACA (Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions et des risques Industriels), une association régionale ayant opur objectif de traiter des questions d’environnement industriel pouvant être facteur de risques et de nuisances pour les hommes, les biens et les milieux naturels. Cette journée s’inscrivait dans une optique d’échanges de bonnes pratiques et de diffusion des retours d’expérience.

A cette occasion, le Dr Jean Lefèvre, membre de l’ASEF, a présenté une conférence sur la problématique des résidus médicamenteux dans l’eau et la médecine de ville. Voici le résumé de son intervention.

Jean Lefèvre

Le Dr Jean Lefèvre est cardio-échographiste. Aujourd’hui retraité, il a officié pendant plus de 40 ans à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille. En tant que porte-parole de l’ASEF, il a travaillé entre autre sur le changement climatique, la pollution de l’air extérieur ou les perturbateurs endocriniens. Aujourd’hui, il nous parle de la pollution de l’eau par les médicaments.

 

Quelques précisions sur la médecine de ville

Qu’est-ce que c’est

La médecine de ville comprend tous les soins de santé réalisés hors hospitalisation ou hébergement en centre médico-social. Elle comprend donc de nombreux soins et examens, notamment :

  • Consultations chez les professionnels médicaux (médecins généralistes et spécialistes, sage-femmes, dentistes)
  • Examens dans les centres d’imagerie
  • Soins paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie)
  • Frais pharmaceutiques
  • Analyses biologiques

Toutes ces pratiques sont susceptibles d’entraîner une pollution aquatique par des déchets médicamenteux. Les pollutions les plus importantes proviennent de l’utilisation des médicaments par les patients à leur domicile.

Les différents acteurs

Plusieurs acteurs sont impliqués dans la médecine de ville ; il s’agit principalement des professionnels de santé (qu’ils soient prescripteurs et/ou utilisateurs), des pharmaciens et bien entendu des patients.

Problématique des résidus médicamenteux en médecine de ville

Les patients utilisent les médicaments directement chez eux, et les résidus de médicaments se retrouvent donc dans le circuit classique des eaux usées ou des déchets. Il existe très peu de circuits gérant la problématique des résidus médicamenteux à partir des eaux usées de ville.

Les actions possibles

Les actions en cabinet : la prescription

Utiliser une classification des médicaments selon leur impact sur l’environnement : le modèle de la classification suédoise.

En 2003, le département environnement du conseil de la ville de Stokholm initie un système de classification des produits pharmaceutiques en fonction de leur impact environnemental (insignifiant, faible, modéré, fort). Cet impact est calculé selon le ratio entre la concentration environnementale estimée et la concentration maximum sans effet pour les organismes aquatiques.

En 2005, cette classification est renforcée par l’estimation du danger des médicaments pour l’environnement avec l’indice PBT (Persistance, Bioaccumulation, Toxicité), le danger étant évalué sur une échelle de 1 à 9. Les données environnementales sont fournies par l’association des industries pharmaceutiques suédoises (ILF) et étudiées par l’institut de recherche suédois de l’environnement. Ce projet de classification réunit à partir de 2005 des représentants des pouvoirs publics (le conseil de la ville de Stockholm, l’association suédoise des autorités locales et régionales), des organismes de santé (Apotek AB, Agence suédoise des produits médicaux), et de l’industrie pharmaceutique (ILF).

Cette classification environnementale des produits pharmaceutiques et le système d’information lié, étendu en 2010 à toute la Suède, vise à permettre aux prescripteurs et experts pharmaciens de pouvoir opter pour un médicament efficace mais de moindre impact environnemental.

Cependant, la portée de cette classification est atténuée par des données environnementales lacunaires ou incertaines. Elle constitue néanmoins une initiative unique en son genre, rassemblant les autorités publiques, de santé et les industriels concernés. Elle vise également à renforcer la demande du marché pour les médicaments avec moins d’impact environnemental afin de stimuler la conception de médicaments plus respectueux de l’environnement.

Il existe un autre frein à l’utilisation de cette classification : si elle est intéressante, le choix d’un médicament sera davantage guidé par l’évaluation du cas du patient. Elle ne peut donc être utilisée que dans le cas où plusieurs molécules ayant exactement les mêmes bénéfices/risques sont disponibles, faute de quoi le choix sera guidé par le cas personnel du patient.

La priorisation des substances à étudier

Il est impossible d’étudier tous les médicaments et leurs métabolites. Il y a donc nécessité d’une priorisation avec des listes établies selon la toxicité chez l’homme et les organismes vivants. De plus les analyses sont très coûteuses et ne donnent un point de vue qu’à l’instant « t ».

La priorisation nécessite une collaboration étroite entre les laboratoires pharmaceutiques, les organismes de recherche et les agences nationales.

L’éducation du patient en cabinet

L’éducation du patient commence lors de la prescription au cabinet. On peut ainsi le sensibiliser au dispositif CYCLAMED de récupération des médicaments non utilisés en pharmacie. De même, un système testé par certains médecins consiste à apposer un tampon au moment de la remise de l’ordonnance ; ce tampon rappelle cette récupération et peut avoir un impact symbolique pour le patient.

En pharmacie : la sensibilisation du patient

Le rôle du pharmacien est essentiel. En effet, il permet non seulement de rappeler le bon usage des médicaments (concernant l’automédication par exemple) mais aussi d’insister encore une fois sur la récupération des médicaments non utilisés en pharmacie. Il convient d’évoquer également le cas des médicaments liquides souvent oubliés et jetés dans les éviers.

En pharmacie : une délivrance des médicaments à l’unité

Une nouvelle politique de délivrance des médicaments a parfois été évoquée. Elle consiste à délivrer les médicaments non plus sous forme de boîtes mais à l’unité. Ce système, utilisé avec succès dans d’autres pays (Canada, Allemagne…) permet non seulement de réduire le nombre de médicaments non utilisés et inutiles mais également de réduire le nombre d’emballage et le coût environnemental des médicaments. Enfin, il présente un gain certain en terme de santé publique puisqu’il permet de réduire l’automédication avec les médicaments restants. De plus, le pharmacien a là un rôle essentiel lorsqu’il prépare les médicaments pour le patient, ce qui lui permet d’être beaucoup plus explicatif et éventuellement de remettre une notice personnalisée.

Propositions pour les traitements initiés à l’hôpital

Lors d’une sortie de l’hôpital et du retour à domicile, il est fréquent que le patient poursuive le traitement initié lors de son séjour hospitalier. Au sein de l’hôpital, la sensibilisation des pharmaciens au problème de pollution des eaux via les médicaments peut être une piste intéressante pour induire une réflexion lors du choix des composés pharmaceutiques disponibles en milieu hospitalier.

Conclusion

La problématique des résidus médicamenteux dans l’eau est importante, et dans la médecine de ville le personnel de santé est au carrefour. Une bonne éducation des patients est nécessaire afin de les sensibiliser au dispositif CYCLAMED. Mais des actions politiques sont également nécessaires afin de réduire au maximum le gaspillage de médicaments risquant de se retrouver dans le circuit des déchets classiques.

Retrouvez la présentation du Dr Lefèvre au format pdf ici : 2017.06.21-RM-et-med-de-ville-2.pdf

En savoir plus sur ce sujet

Les Dialogues de l’ASEF, spécial « Médicaments dans l’eau »

L’eau est source de vie Pourtant, l’agriculture intensive, l’industrie, la médecine ne sont pas sans effet sur ...